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Titre de la source : La régulation juridique des relations conjugales : une approche historique et comparativeAuteur(s) : Arlette Gautier
Éditeur(s) : Prochoix ("Droits du mariage et violences conjugales", pp.109-134)
Année : 2006
La régulation juridique des relations conjugales : une approche historique et comparative (PDF, 299 Ko)
Comment les relations conjugales sont-elles prises en charge, codifiées et régulées par les institutions juridiques ? Cet article de la sociologue Arlette Gautier retrace la construction juridique des relations conjugales depuis les premiers codes civils, du devoir d’obéissance à l’égalité entre les conjoints, et quantifie les effets personnels, civils et pécuniaires du mariage à deux moments précis, 1938 et 2003, respectivement sur 63 et 192 pays.
Début de l’article :
« Durkheim, dans son Introduction à la sociologie de la famille, préconisait trois sources principales pour l’étude de celle-ci : « le droit, les mœurs tels que nous les font connaître l’ethnographie et l’histoire, enfin la démo- graphie de la famille ». En effet, le droit « présente à un plus haut degré ce caractère objectif qui est le signe distinctif de la coutume, comme il a une forme plus nettement arrêtée, il constitue un document en général plus pré- cieux » (Durkheim, 1888). Il ajoute qu’un certain décalage se produit par- fois, le droit pouvant être en retard sur les évolutions des mœurs. Aujourd’hui, le droit est parfois en avance sur les mœurs, notamment à la suite des pressions internationales visant à démocratiser le droit de la famille. En effet, la ratification de la convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes (CEDEF) ainsi que d’autres accords internationaux ont conduit certains États à revoir ce droit pour signifier leur intégration à l’ordre international et à la civilisation mondiale (Engle-Merry, 2003). On peut alors se demander si le droit ne devient pas irréaliste, relevant plus d’une façade internationale, de « gestes sans significations » (Banda, 2003), que d’un dispositif de gestion des relations conjugales, souvent régies par des droits coutumiers, voire par des prescriptions religieuses ou des coutumes. Cependant, le droit peut aussi produire des effets. Ainsi au Brésil, avant la promulgation du nouveau code, des femmes ont vu leur mariage annulé parce qu’elles n’étaient pas arrivées vierges au mariage conformément à la loi. Inversement, aux États-Unis et au Royaume-Uni, des hommes qui de- mandaient d’empêcher l’avortement de leur conjointe se sont vus débouter, parce que rien dans la loi du pays ne donne à un conjoint un pouvoir sur le corps de l’autre. Le droit fait alors partie de la structure des contraintes face à laquelle se déploient les stratégies individuelles et collectives. Quelle que soit son effectivité, qui dépend de celle de l’État ainsi que de la volonté ré- elle des acteurs publics, le droit familial est toujours un discours public par lequel l’État énonce une certaine normativité.
La démocratisation de ce discours commencé au XXe siècle semble se poursuivre au siècle actuel, puisque, depuis 2001, l’égalité des femmes dans le mariage a été reconnue en Argentine, au Brésil et en Turquie, alors que des progrès significatifs sont relevés au Bénin, au Malawi, au Maroc et en Ouganda1. Néanmoins, des tendances contraires à cette démocratisation se font jour, avec notamment l’instauration de la sharia dans douze États du Nigeria, suivant ainsi la tendance à une rénovation patriarcale dans certains États musulmans. Que peut-on dire pour dépasser un point de vue impressionniste sur ces évolutions ? Là aussi, l’approche sera durkheimienne : « Nous étudierons d’après cette méthode, non pas une ou deux familles prises pour exemples, mais le plus grand nombre possible : nous ne négligerons aucune de celles sur lesquelles nous pourrons nous procurer des renseignements dignes de foi. Nous les rangerons en groupes d’après les ressemblances et les différences qu’elles nous présenteront. » (Durkheim, 1888). Cette classification est fondée sur les dispositions juridiques et non sur les théories classiques en droit comparé, car celles-ci ne permettent pas de suivre les transformations qui s’opèrent avec le temps (Husa, 2004). »
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