Ce chapitre jette un regard critique sur le cadre mondial et l’architecture internationale portant sur le changement climatique avec une perspective de genre et considère les risques d’amplification des inégalités sociales et économiques sous-jacentes que présentent les approches actuelles en ne parvenant pas à tenir compte des impacts différenciés dans différents domaines de la société.
Ce chapitre vise à fournir une compréhension des accomplissements existants à l’échelle internationale en vue de réduire les émissions (atténuation) et de gérer les impacts inévitables du changement climatique (adaptation) ainsi que des effets négatifs des réponses actuelles sur les relations de genre. Il analyse les structures institutionnelles et les processus de gouvernance actuels au sein de la CCNUCC et les mécanismes qu’elle propose pour traiter l’atténuation et l’adaptation, notamment les mécanismes « flexibles » fondés sur le marché, qui sont inclus dans le protocole de Kyoto.
Il met en avant l’idée selon laquelle l’atténuation et l’adaptation son des enjeux liés que doivent être traités ensemble, plutôt que séparément. Enfin, il aborde la question du financement du climat, la façon dont la création des marchés carbone et la distribution des fonds pour l’atténuation et l’adaptation peuvent renforcer les inégalités de genre existantes.
Il étudie comment le cadre mondial actuel pourrait être amélioré en se basant sur les différentes déclarations et conventions internationales qui fournissent les fondations pour traiter du genre et du changement climatique, en renforçant la capacité institutionnelle sur les questions de genre, en s’assurant que les femmes soient entendues à égalité dans les hauts cercles de prise de décision et en cherchant des alternatives aux approches de genre inéquitables en cours.
4.1. Contexte politique mondial
4.1.1. Conventions et accords internationaux
Il n’existe pas de convention unique englobant tous les aspects ni du changement climatique ni de l’égalité de genre et sans aucun doute aucun cadre qui traite comme il se doit des deux questions à la fois. On part souvent du principe que toutes les questions liées au genre sont abordées par la CEDEF de 1979 et que toutes les questions liées au changement climatique sont abordées par la CCNUCC de 1992. Pourtant, chacun de ces textes ne constitue qu’un seul élément parmi un vaste ensemble de conventions et d’accords pertinents en matière d’environnement et de genre.
Vu la complexité du contexte politique international, una approche bien plus olistique s’impse. Celle-ci doit tenir compte des contributions de chacune de ces différentes parties de la législation et placer les droits plutôt que l’economie a coer de toutes les politques et accorfd internationaux portant sur le changement climatique. Le tableau présenté ci-dessous se base sur un audit des cadres existants et expose leur degré d’utilité dans le traitement des préoccupations relatives au genre et au changement climatique.
4.1.2. La CCNUCC
Elle constitue le cadre global international traitant du changement climatique. Elle a fait l’objet d’un accord lors du Sommet de Rio en 1992. Elle a permis de reconnaître pour la première fois le rôle de la perturbation anthropique dans le système climatique et le besoin de traiter le problème des émissions de gaz carbonique. Bien qu’elle fasse référence à l’activité humaine, la CCNUCC se démarque d’autres conventions environnementales en ce sens qu’elle ne fait absolument aucune référence au genre en quelque point que ce soit. Il a été suggéré que l’absence de toute mention du genre dans la CCNUCC pourrait être due à la « perception d’un besoin de se focaliser sur les questions universelles et de ne pas détourner l’attention sur des aspects de genre, étant donné les ressources humaines limitées dans le cadre de la négociation et la crise dans laquelle l’ensemble du débat sur le protocole de Kyoto se trouvait à cette époque » (Skutsch 2002: 1).
Le Protocole de Kyoto, convenu en 1997, n’a pas été meilleur dans la reconnaissance du genre, puisqu’il ne fait aucune référence explicite ni au genre ni aux femmes en quelque endroit du texte que ce soit, et stipule un éventail de mécanismes fondés sur le marché visant à traiter le changement climatique qui risquent d’accentuer les inégalités de genre existantes. La focalisation massive de ces mécanismes sur les technologies et sur l’économie créés en vertu du protocole de Kyoto n’a laissé que peu de place à l’examen des questions de justice sociale, d’égalité et de durabilité.
Ce n’est qu’en 2007 avec la création du plan d’action de Bali lors de la CdP 13 que des pistes ont enfin émergé en termes de questions de genre alors que des préoccupations grandissaient au sujet des impacts transversaux du changement climatique et de l’importance des inégalités sociales, y compris les inégalités de genre dans l’apparition des vulnérabilités. Depuis lors, les organisations de femmes de la société civile (OSC) ont eu plus d’opportunités de s’impliquer dans le processus de la CCNUCC, les gouvernements se sont davantage focalisés sur l’équité de genre, les femmes ont davantage participé et dirigé des actions lors des conférences de l’ONU sur le changement climatique et les CdP, et les gouvernements ont fourni des efforts concertés pour inclure les mots du genre dans les textes de négociations dans l’accord sur le changement climatique post 2012 qui viendra remplacer le protocole de Kyoto, alors arrivé à terme. (1)
L’aveuglement de genre de la CCNUCC a été le sujet de nombreux débats et d‟actions de lobbying et de plaidoyer. Lors de la CdP 1 de la CCNUCC, qui s’est tenue à Berlin en 1995, le Forum international des femmes «Solidarity in the Greenhouse» a attiré 250 participants du monde entier. Malheureusement, ce début prometteur a été suivi par plusieurs années de silence. Les discussions sont devenues bien plus technocratiques et se sont centrées sur le «marché», alors que les aspects sociaux étaient progressivement marginalisés. Ni les organisations de femmes, ni les services chargés du genre des agences de l’ONU n’ont participé aux conférences annuelles et le langage des CdP est devenu si abstrait que seules les personnes du milieu et les experts en climat à plein temps pouvaient suivre les négociations.
Lors de la CdP 14 à Poznan en 2008, le Secrétariat de la CCNUCC a finalement reconnu l’importance des questions de genre et a créé une nouvelle unité de genre pour intégrer les dimensions de genre dans les domaines du programme de la CCNUCC. Depuis lors, ceux qui plaident pour le genre ont collaboré avec la nouvelle unité genre pour soutenir l’inclusion d’un langage spécifique au genre dans les textes des conférences en étudiant les points d‟entrée possibles et en faisant des recommandations sur la façon dont les documents pouvaient être rendus plus sensibles au genre. Ce travail de plaidoyer a progressivement fait son chemin, avec huit références au genre incluses dans le texte final de l’Accord de Cancún en 2010, même si aucune d’entre elles ne se trouvait dans la partie sur l’atténuation ou celle sur le financement, ces deux parties étant restées extrêmement aveugles au genre (voir encadré ci-dessous).
La lutte pour l’intégration du genre dans la CCNUCC continue, et l‟urgence de l’intégration de considérations de genre dans l’atténuation et le financement du climat augmente alors que des fonds plus importants deviennent disponibles et que des projets pilotes qui définiront les règles de conception, de mise en oeuvre et de surveillance à l’avenir sont en cours de déploiement.
L’intégration du genre dans la CCNUCC : histoire d’une réussite ? Lors de la CdP 9 à Milan en 2003, trois organisations de femmes (LIFE, ENERGIA et WECF) ont allié leurs forces afin d’initier un processus qui a eu, lentement mais sûrement, pour résultat l’émergence du réseau GenderCC et le développement de la participation des organisations de femmes aux réunions de la CCNUCC. Leur stratégie comprenait entre autres les points suivants: 1. Combler les lacunes dans les connaissances liées aux aspects genre du changement climatique (recherche et données désagrégées par sexe). 2. Inclure un plus grand nombre d’experts femmes et genre dans la prise de décision sur la politique relative au climat à tous les niveaux. 3. Intégrer des connaissances liées au genre dans l’élaboration des politiques, leur mise en oeuvre et leur surveillance et dans les stratégies et supports de communication. GenderCC a fait appel à diverses méthodes : stands d’information lors des conférences sur le climat, formations, ateliers et réunions quotidiennes destinées aux experts femmes et genre visant à débattre des stratégies, élaboration d’exposés de principes et de propositions et lobbying permanent auprès des gouvernements et des délégués. La visibilité des questions de femmes et de genre a graduellement progressé de conférence en conférence depuis la CdP 9 de Milan en 2003. En 2009, GenderCC a demandé que «les organisations non gouvernementales de femmes et de genre» deviennent une «division», ce qui a été approuvé fin 2009 et a considérablement amélioré leurs opportunités d’influence et leur visibilité. (Roehr 2009) |
4.2. Atténuation ou adaptation
Le défi de la réponse au changement climatique est de taille considérable et pourrait être comparé à l’image suivante : tenter d’évacuer l’eau d’un bateau qui fuit tout en essayant de se détourner de la tempête. Le débat porte sur l‟établissement des priorités : la réparation du bateau (l’adaptation) ou le contournement de la tempête (l’atténuation). En fait, ces deux missions doivent être menées de front et en synergie de manière sensible au genre, si l’on souhaite éviter la crise et traiter les impacts existants avant que les choses ne s’empirent (Ayers et Huq 2008). L’encadré ci-dessous fournit des définitions détaillées de deux termes, et les points 4.3 et 4.4 exposent des exposés plus approfondis quant aux démarches d’atténuation et d’adaptation.
Quelles sont en pratique les implications de l’atténuation et de l’adaptation ? L’atténuation peut impliquer l’utilisation plus efficace des combustibles fossiles, la transition vers des sources d’énergies renouvelables, la réduction du taux de déforestation et de dégradation des sols, la mise en oeuvre de pratiques agricoles plus durables et, enfin – une mesure souvent ignorée par les responsables politiques – la transformation des modèles de comportement et la réduction de la consommation de ressources, notamment dans les pays industrialisés.L’adaptation implique toutes les activités qui visent à faire face aux effets du changement climatique et à développer la résilience à l’avenir. Elle peut comprendre un vaste ensemble d’activités, allant de projets d’infrastructure de grande taille, comme des murs de protection littoraux, des barrages et des systèmes d’irrigation, à des changements comportementaux et des changements de pratiques agricoles, comme des cultures alternées ou la culture d’espèces plus résistantes aux sécheresses, la souscription d’une assurance ou la découverte des moyens de subsistance moins sensibles à l’environnement naturel. (Terry 2009) |
Les liens entre l’atténuation et l’adaptation semblent ne pas avoir été pleinement reconnus dans les différents accords de financement et politiques. Ainsi, ces deux enjeux sont souvent abordés dans des contextes politiques et institutionnels différents (Tol 2005). Trop souvent, l’atténuation et l’adaptation sont considérées comme des priorités en compétition par les responsables politiques, les différents groupes d’intérêts n’étant pas en mesure de se mettre d’accord sur la proportion d’adaptation et d’atténuation appropriée (Cohen, Demeritt et al. 1998). Les sceptiques face au changement climatique, qui se refusent à reconnaître que les émissions de gaz carbonique ont un quelconque rapport avec les régimes climatiques changeants, militent pour une focalisation sur l’adaptation permettant de rendre les pays plus résilients à ces régimes (Lomborg 2001), alors que des études économiques comme le rapport Stern mettent toute l’emphase sur le besoin d’investir immédiatement dans l’atténuation afin d’éviter l’aggravation des impacts et l’augmentation des coûts à l’avenir (Stern 2006).
Un autre travail de recherche plus orienté sur le développement et qui se focalise sur les besoins des femmes face au changement climatique a souligné l’urgence de l’adaptation si l’on souhaite constater un quelconque progrès en termes de développement social et économique, y compris l’atteinte des OMD dans les pays les plus vulnérables (Mitchell, Tanner et al. 2007). Il attire l’attention sur les découvertes du GIEC, selon lesquelles « même les efforts d‟atténuation les plus sévères ne pourraient pas exclure d‟autres impacts du changement climatique au cours des quelques décennies à venir, ce qui rend l‟adaptation essentielle » (GIEC 2007 : 7).
Quoi qu’il en soit, l’atténuation et l’adaptation sont manifestement liées, notamment dans le cas de communautés pauvres des pays en développement du Sud qui font appel aux ressources naturelles à la fois pour leur approvisionnement en énergie et pour leurs besoins en développement et pour lesquelles le développement de la résilience face au changement climatique va de pair avec l’accès à l’énergie renouvelable.
4.3. L’atténuation
L’atténuation pourrait être l’élément le plus controversé de la politique relative au changement climatique. Le débat autour de la responsabilité des émissions ainsi que du compromis entre la réduction des émissions et le maintien de la croissance économique est très soutenu. Dans toutes les discussions sur l’atténuation, toutefois, il n’y a eu que de rares mentions des dimensions de genre et quelques tentatives de prise en compte des expériences ou besoins spécifiques des femmes et des hommes lors de l’élaboration de politiques d’atténuation.
Toutes les stratégies d’atténuation ont des implications en termes de relations de genre et ont des impacts différents sur les hommes et les femmes. Des travaux de recherche ont montré que les perceptions du changement climatique par les hommes et les femmes et les réponses qu’ils souhaitent y voir apporter sont différentes : les femmes ont tendance à avoir d’autres perceptions du risque et à être plus flexibles et volontaires en matière de changements comportementaux (Roehr et Hemmati 2008). Par exemple, il a été prouvé que les hommes et les femmes n’émettent pas des quantités identiques de GES et que les femmes et les hommes ne sont pas touchés à l’identique par les politiques qui visent à réduire les émissions (voir point 2.1.3). Quoi qu’il en soit, dans de nombreux cas, les femmes ne sont pas intégrées et impliquées dans les projets d’atténuation et, pire encore, sont activement exclues ou subordonnées par certains projets. Les travaux de recherche menés auprès des communautés indigènes Adivasi illustrent bien ce phénomène.
Les initiatives d’atténuation aveugles au genre privent les femmes Adivasi de leurs droits Les communautés indigènes Adivasi du Madhya Pradesh en Inde sont en lien direct avec les initiatives d’atténuation au travers de démarches, tels des projets forestiers ou le développement de sources d’énergie de remplacement. Pourtant, elles ne sont que rarement incluses dans la consultation précédant les projets ou leur mise en oeuvre. Les femmes et parfois les enfants des communautés Adivasi ont été employés comme travailleurs saisonniers chargés de la plantation de graines dans la forêt, sans même qu’ils aient été informés de leur rôle dans un projet de stockage de carbone de plus grande envergure. De plus, des préoccupations sont nées du fait que certains projets d’atténuation, comme la sécurisation de forêts servant de pièges à carbone ou de projets à base d’énergies renouvelables, ont été établis sur les terres de populations indigènes sans leur consentement libre et éclairé préalable, notamment celui des femmes, comme cela a été le cas des fermes éoliennes de Maharashtra. (Kelkar 2009) |
Différentes stratégies et cadres d’atténuation ont été mis en place au niveau international comme national. Nous portons ici un regard de genre sur les stratégies les plus développées à ce jour, à savoir : les marchés du carbone, les mécanismes flexibles du protocole de Kyoto, notamment le Mécanisme pour un développement propre, les Mesures d’atténuation appropriées au niveau national (MAAN), la REDD et d’autres solutions, notamment les biocarburants et la régulation démographique.
4.3.1. Les marchés du carbone
«Cette nouvelle économie du carbone […] a des difficultés à englober les réalités écologiques et les réalités sociales locales, notamment en termes de perdants et de gagnants à l’échelle locale. Ce phénomène est dû en partie au fait que les marchés du carbone n’émergent pas spontanément ; ils sont créés par les institutions mondiales et nationales. Leur création peut impliquer le changement des droits de propriété, ce qui renverse souvent des régimes de droits de propriété et de gestion traditionnels établis de longue date […] La capacité de la “nouvelle économie du carbone” à présenter de réels avantages en faveur du développement durable pourrait finalement se voir limitée par la nature du marché lui-même ». (Brown et Corbera 2003: 2)
La principale réponse à l’atténuation a été la tarification des émissions de carbone, l’échange de leurs droits et la création d’un marché leur étant dédié. Cette réponse est née de l’entendement prédominant du changement climatique comme un sujet économique, en d’autres termes, ce qui a été qualifié d’« échec le plus grand du marché que le monde n‟ait jamais connu » (Stern 2006). Faisant appel à une analyse coût-bénéfice, la réponse fondée sur le marché met un prix sur les émissions de gaz carbonique, leur conférant ainsi une valeur monétaire afin de trouver le moyen le plus efficace et le moins coûteux de les réduire et permettant aux pays et sociétés privées de les acheter et de les vendre comme s’il s’agissait de marchandises réelles. Plutôt que de faire la promotion d’un réel changement ou de se pencher sur les éventuelles causes sous-jacentes du changement climatique, cette approche repose sur le marché, dans le but d’apporter la solution au problème en trouvant les moyens les moins coûteux et les plus « efficaces » de réduire les émissions et fournissant des aides économiques aux pays et sociétés privées pour qu’elles procèdent de la sorte.
L’utilisation du système de marché capitaliste pour nous sortir d’une situation qui a été créée par ce même système est considérée par beaucoup comme un moyen inefficace et à court terme. Comme le faisait remarquer Einstein : « On ne peut pas résoudre un problème avec le même type de pensée que celui qui l’a créé ». Ainsi, faire appel au marché pour résoudre un problème causé par le marché pourrait être précisément l’erreur que nous faisons actuellement (Roehr et al. 2008).
Non seulement une réponse fondée sur le marché ne parvient pas à traiter les postulats sous-jacents du système économique qui a créé le changement climatique, il confère également plus de pouvoir aux institutions qui ont déjà tendance à dominer l’accès aux ressources et à les contrôler (Lohmann 2006).
La création d’un marché du carbone a été critiquée d’un point de vue éthique du fait qu’elle permet aux pays industrialisés de continuer à émettre comme avant en achetant des crédits aux pays pauvres. Pour beaucoup, les marchés du carbone sont considérés comme un moyen de maintenir le statu quo des structures de pouvoir actuelles, les pays industrialisés plus riches se voyant attribuer des droits qui leur permettent de poursuivre leur développement à forte intensité de carbone, pendant que les pays pauvres continuent d’être exclus du développement. Alors, les inégalités mondiales s’amplifient, les femmes pauvres étant souvent les plus perdantes dans ces négociations (Roehr 2007b).
Des questions fondamentales se posent également pour savoir qui a le pouvoir d’attribuer les droits aux «ressources communes» comme l’air pur et l’eau (voir également chapitre 3) et quels sont les facteurs sous-jacents qui empêchent certains pays, groupes ou personnes d’avoir un accès égal à ces droits. En pratique, les droits d’accès aux ressources naturelles semblent être détenus par ces groupes ou individus ayant le plus de pouvoir pour se les approprier et ayant le plus grand intérêt financier à procéder de la sorte (Hepburn 2007).
Les coûts genrés des marchés du carbone
Peut d’attention a été prêtée aux structures de pouvoir sous-jacentes qui confèrent à certaines institutions, pays ou groupes de personnes le contrôle sur des ressources, pendant que d’autres, en particulier les femmes, sont exclus des bénéfices. Les femmes ne bénéficient que rarement à égalité des mécanismes du marché pour les mêmes raisons que celles qui les excluent de la participation sur un pied d’égalité aux sociétés. Leur manque d’accès au capital, leur travail non reconnu et leurs participations non rémunérées au Care (2), leur manque de droits à la propriété, ainsi que les barrières structurelles, les normes sociales et culturelles qui les empêchent de participer à égalité à l’éducation, à la prise de décision et à la politique, tout cela fait qu’elles sont moins susceptibles de bénéficier de ces mécanismes de marché (3) (voir, à titre d’exemple, Elson et Pearson 1981, Esplen 2007, Folbre 2000, Lourdes 2003 et Kabeer 2008).
L’exemple ci-dessous illustre en quoi ces inégalités affectent les différents contextes nationaux.
Des droits à la propriété inégaux affectent la participation des hommes et des femmes aux mécanismes de marché Des travaux de recherche ont mis en évidence que dans la plupart des pays du Sud, il existe des écarts de genre significatifs, notamment en matière de propriété foncière. Au Cameroun, par exemple, bien que les femmes exécutent plus de 75 % des tâches agricoles, elles possèdent moins de 10 % de la terre. Au Brésil, les femmes possèdent 11 % de la terre, alors qu’au Pérou, elle en possède 13 %. Des disparités similaires ont été identifiées en Tanzanie, au Kenya, au Nigeria et dans d’autres pays d’Afrique subsaharienne. Cette inégalité est avérée en termes d’activités agricoles, mais pas seulement. Elle affecte également l’accès des femmes au logement, à la production alimentaire et aux activités socio-économiques, étant donné que la terre est une condition préalable à la participation à de nombreuses activités génératrices de revenus et à l’accès aux services financiers ou au crédit. Toutes ces inégalités ont un impact majeur sur les capacités des femmes à participer ou à bénéficier à égalité des mécanismes du marché, comme ceux présentés dans le protocole de Kyoto. (Rossi et Lambrou 2008) |
4.3.2. Les mécanismes flexibles du protocole de Kyoto
Le protocole de Kyoto détermine un certain nombre de mécanismes flexibles qui prévoient différentes formes de négoce d’émissions, que ce soit entre pays industrialisés participants, au travers de partenariats entre donateurs et « pays hôtes » ou entre pays développés et en développement. Ils comprennent le négoce d’émissions de gaz carbonique, la mise en oeuvre commune de projets et le Mécanisme pour un développement propre.
Le Mécanisme pour un développement propre (MDP)
Le principe de fonctionnement du MDP est le suivant : les pays industrialisés du Nord peuvent atteindre leurs objectifs d’émission à moindre frais en investissant dans des technologies « propres » dans les pays en développement. En théorie, cela devrait créer une situation gagnant- gagnant, en réduisant les émissions mondiales et en injectant des fonds dans des projets de développement durable dans les pays en développement. En pratique, les résultats ne sont pas toujours aussi positifs, et il y a peu de preuves que cela ait réduit les émissions ou contribué au développement durable (Holm Olsen 2007: 61). Le concept même de MDP, qui permet aux pays du Nord de continuer à polluer en « payant leur dette » au pays du Sud, a également été remis en question sur la base de l’équité et de l’intégrité environnementale.
Alors que les projets du MDP qui pourrait contribuer aux objectifs de réduction de la pauvreté et d’autonomisation des femmes sont généralement des projets à plus petite échelle, comme ceux de micro-centrales hydroélectriques et de biomasse énergétique, de reboisement communautaire ou d’agrosylviculture, les procédures laborieuses de candidature et d’autorisation impliquent que ces initiatives à petite échelle sont rarement viables (Lambrou et Piana 2006b).
Il y a diverses raisons à cette méprise. Un des problèmes du MDP est qu’il est biaisé géographiquement. Alors que l’objectif du MDP est de subventionner des projets à base d’énergie propre dans le Sud, en réalité la plupart des moyens financiers parviennent à quelques pays plus développés qui ont la capacité de construire et de gérer des projets d’infrastructures de grande échelle. Une infime partie parvient aux pays dont les besoins sont les plus importants ou finance des projets soutenant des initiatives communautaires dont les femmes peuvent bénéficier à égalité. Une analyse de près de 6 000 projets du MDP qui avaient été approuvés début 2011 a montré qu’environ 80 % de l‟ensemble des projets financés se trouvaient au Brésil, au Mexique, en Chine et en Inde alors que seulement 2,5 % étaient réalisés en Afrique (seuls 154 projets au total), offrant ainsi peu de soutien aux communautés les plus pauvres au sein desquelles les femmes peuvent souffrir le plus durement des impacts du changement climatique. (4)
Il a également été prouvé que des projets MDP peuvent aggraver la pauvreté et les inégalités de genre en raison du fardeau qu’ils font reposer sur ceux qui n’ont ni droits ni régime fonciers dans le cas où les restrictions s’appliquent aux activités communautaires traditionnelles comme la pêche, les activités pastorales ou la chasse (Ravels 2008).
Il existe tout de même des exemples de projets du MDP plus soucieux des questions de genre qui ont cherché des moyens de satisfaire les besoins des hommes comme des femmes et ont adopté une approche plus globale de l’adaptation et de l’atténuation en soutenant des projets qui ont de réels impacts sur la capacité des femmes à réduire leurs émissions de gaz carbonique tout en leur conférant une plus grande maîtrise de leur temps, en renforçant ainsi leur capacité d’adaptation et de résilience face au changement climatique. Un projet du MDP dans une zone rurale de l’Inde a servi d’exemple pour illustrer la façon dont des projets bien conçus et sensibles au genre peuvent autonomiser les femmes et fournir une énergie propre aux communautés rurales (voir encadré ci-dessous).
Le MDP et l’énergie pour les femmes en Inde Le projet de biogaz du MDP de Bagepalli prévoyait la construction de «digesteurs à biogaz» dans des foyers ruraux qui pouvaient utiliser le fumier pour produire un combustible de cuisson propre.À l’aide d’un micro-financement provenant du MDP permettant l’achat de l’énergie propre à moindres frais, le programme a permis aux femmes de réduire le temps passé à collecter le bois combustible et mis fin aux problèmes de santé liés à la pollution intérieure causée par les fours de cuisson traditionnels. (5) |
4.3.3. Les Mesures d’atténuation appropriées au niveau national
Alors que le protocole de Kyoto définit le cadre international portant sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) et soutenant les pays dans leur démarche de réduction des émissions, des programmes appelés Mesures d’atténuation appropriées au niveau national (MAANN) orientent les efforts d’atténuation à l’échelle nationale.
Les Mesures d’atténuation appropriées au niveau nationalÀ l’origine, les MAANN, qui font partie intégrante de l’Accord de Copenhague de 2009, avaient été élaborées dans le cadre du pilier de l’atténuation du Plan d’action de Bali. Les MAANN font référence à un ensemble de politiques et d’actions visant à réduire les émissions de GES, chaque pays mettant en oeuvre une « action appropriée au niveau national » basée sur l’équité en fonction de sa responsabilité dans les émissions et de ses capacités correspondantes. (UNFPA et WEDO 2009) |
Les MAANN constituent également un moyen pour les pays en développement d’être assistés et soutenus sous forme de financement, de technologies et de développement de capacités, afin qu’ils contribuent à la réduction de leurs émissions. Ainsi, on s’éloigne d’une approche exclusivement fondée sur le marché.
Ces mesures mettent l’emphase sur la responsabilité des pays industrialisés à aider les pays en développement à s’orienter vers des voies de développement à faible intensité de carbone. Comme dans le cas d’autres initiatives de financement de la lutte contre le changement climatique, une profonde ambiguïté entoure la structure institutionnelle requise pour soutenir les MAANN, les moyens de mesure, de reddition de compte et de vérification de l’impact des actions et leur rapport avec d’autres projets visant la réduction des émissions de gaz carbonique, tels que ceux financés au moyen de mécanismes de marché du carbone. À ce jour, les MAANN ne présentent pas de lignes directrices claires ni d’indicateurs de genre. Il a néanmoins été suggéré que leur orientation devrait prendre la forme de mesures de transformation à long terme plus stratégiques.
Celles-ci devraient fournir des opportunités d’intégration d’indicateurs plus sensibles au genre (UNFPA et WEDO 2009).
4.3.4. La réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD)
« La nouvelle mise en exergue des politiques forestières fondées sur le marché marque le désengagement des politiques publiques de conservation forestière. Au lieu d’adopter une approche de gestion forestière communautaire intégrée, la nouvelle approche prévoit un paiement pour des services environnementaux et la création d’un marché pour ces services. Alors que les projets communautaires tenaient compte du genre et des droits des femmes, les nouvelles approches orientées marché sont bien plus commerciales et tendent à défavoriser les femmes qui ont moins d’argent, de terres et de pouvoir sur le marché ». (Renseignements obtenus auprès de Simone Lovera, 2010)
Le cadre de la REDD a initialement été convenu lors de la CdP 13 en 1997 et faisait partie du plan d’action de Bali. Il comprend un ensemble de mécanismes qui visent à réduire la déforestation au travers d’aides financières incitatives en attribuant aux forêts une valeur monétaire basée sur leur capacité à piéger le carbone et donc à réduire les GES. La seconde phase du cadre, REDD+ inclut l’emprisonnement, qui implique le stockage ou le retrait de carbone de l’atmosphère via la conservation des forêts ou la plantation de nouvelles forêts. La REDD permet aux gouvernements ou sociétés privées du Nord d’acheter des « contreparties de la fixation du carbone » (le droit de polluer) en payant les pays du Sud pour qu’ils ne détruisent par leurs forêts. Le principe est de rétribuer des propriétaires de forêts du Sud en les payant pour leurs services environnementaux afin de les décourager à couper ces forêts et de prévenir ainsi l’émission du gaz carbonique piégé dans les forêts. Le paiement pour ce faire pourrait soit venir de fonds publics soit de marchés du carbone.
Des craintes ont été exprimées selon lesquelles les pays et projets dans lesquels la déforestation est déjà en cours pourraient avoir la priorité, tandis que l’on ne récompenserait pas les communautés qui ont travaillé et travaillent à la conservation et à la restauration de leurs forêts (Hall et Lovera 2009). Le processus en lui-même, qui consiste à traiter la forêt comme une marchandise plutôt que comme ressource communautaire, est également considéré par beaucoup comme intrinsèquement inéquitable. Les dimensions de genre ont été largement survolées dans de nombreuses politiques promues par la REDD. Il est également très préoccupant que les projets forestiers financés via la REDD puissent avoir des impacts nuisibles sur la biodiversité, les peuples indigènes et les communautés locales, en particulier les femmes, notamment lorsque les forêts sont incluses dans les marchés du carbone (Roehr 2007). Par exemple, de nombreuses femmes vivant dans ou à proximité des forêts peuvent avoir été dépendantes du libre accès aux ressources de la forêt comme moyens de subsistance et pour subvenir à leurs besoins et à ceux des membres de leur famille.
Pourtant, on les décourage désormais à faire appel aux forêts de cette façon en raison de l’augmentation du contrôle de l’Etat sur ces ressources. Néanmoins, elles ne peuvent pas se permettre d’acheter des produits de substitution comme du fourrage pour les animaux, du combustible, des plantes médicinales ou des denrées alimentaires (Lovera 2008).
4.3.5. Autres approches
Outre les approches générales décrites ci-dessus, une multitude d’autres « rafistolages » face au changement climatique ont été proposés, comme l’utilisation de la géo-ingénierie et de nouvelles technologies, que ce soit pour altérer la composition des océans pour qu’ils absorbent le CO2 de l’atmosphère ou pour envoyer des panaches de fluides sulfureux dans la stratosphère afin d‟empêcher le rayonnement solaire de réchauffer davantage la planète.(6) Si l’on en croit de nombreuses critiques, ces propositions ne sont que de « fausses solutions » qui détournent l’attention du défi pressant de réduction des émissions et pourraient mener vers une fausse impression de sécurité qui réduit la pression d‟une action immédiate. Il existe également un risque que, du fait de leur nature hautement scientifique et ne parvenant pas à prendre en compte l’environnement social au sens large dans lequel le changement climatique se situe, ces « fausses solutions » pourraient en fait avoir des effets nuisibles sur l’égalité de genre, comme le montrent les deux exemples ci-dessous des biocarburants et de la politique de régulation démographique.
Les biocarburants
Des preuves convaincantes ont été apportées et mettent en évidence que les politiques relatives aux biocarburants pourraient constituer l’une des principales causes de la crise alimentaire mondiale.
Il a été démontré que ces carburants, issus de la biomasse, et souvent décrits comme une alternative écologique aux combustibles fossiles, ont un impact bien plus nuisible sur l’environnement que prévu à cause de l’utilisation massive d’engrais et de pesticides. La principale préoccupation quant aux biocarburants, néanmoins, est l’ «acquisition massive de terres » et la déforestation qui en résulte, vu que les subventions gouvernementales incitent les grandes entreprises privées à créer des plantations de monocultures de biocarburants (Rossi et Lambrou 2008).
Non contentes de s’emparer des terres agricoles à fort rendement, elles forcent souvent la population locale à quitter ses terres, la privant de sa principale forme de génération de revenus et de ses droits humains fondamentaux à l’alimentation.
Le processus d’acquisition massive de terres pose également des problèmes de genre, vu le manque de droits à la terre des femmes qui les rend particulièrement vulnérables au déplacement. Simone Lovera, directrice exécutive au sein de la Coalition mondiale des forêts, explique ce qui suit : « alors que les intérêts des entreprises privées continuent d’entraîner la faim et la pauvreté, les responsables politiques semblent réticents à reconnaître que les biocarburants ne sont pas la solution au changement climatique et que ce qui est réellement requis est une réduction de la consommation de combustibles et un effort dans la recherche de solutions de remplacement comme l’investissement dans le transport public et dans les réseaux ferroviaires économes en carburant au lieu d’acquérir massivement les terres de pauvres ». (Renseignements obtenus auprès de Simone Lovera, 2010)
Les politiques de régulation démographique
Les argumentations en faveur de politiques d’une régulation démographique plus stricte comme moyen d’atténuation des émissions de gaz carbonique à l’avenir sont souvent mises en relation avec le débat sur les enjeux agricoles liés à l’alimentation de la population grandissante. La population est considérée comme un facteur crucial influençant l’impact humain sur l’environnement. Il est argumenté que la surpopulation, en particulier dans le Sud où les taux de fertilité restent élevés, est incompatible avec les objectifs de réduction des émissions mondiales.
De ce fait, dans certains cas, la régulation démographique a été recommandée comme stratégie de limitation des émissions à venir ainsi que de réduction des pressions d’adaptation en évitant la surpopulation dans des régions où les problèmes de rareté de l’eau douce, de terres arables et de ressources alimentaires se posent déjà.(7) S’il est clair que la surpopulation a des impacts environnementaux négatifs, en particulier dans les pays en développement où les ressources naturelles sont déjà sous tension, il est important que toutes les politiques démographiques soient placées dans un contexte plus large d’autonomisation des femmes et de développement socioéconomique global plutôt qu’elles envisagent de placer les femmes comme cibles de la régulation démographique. Par exemple, il est essentiel que les discussions autour de ces politiques ne fassent pas abstraction du besoin de services de santé reproductive plus étendus dans les pays en développement (Hartmann 1995).
4.4. L’adaptation
L’adaptation, c’est-à-dire les activités requises pour faire face au changement climatique, est souvent donnée pour synonyme de développement durable de qualité. Dans de nombreux pays du Sud, une adaptation efficace et le développement durable sont étroitement liés, ainsi que la reconnaissance du besoin de s’assurer que les préoccupations liées au changement climatique sont intégrées dans des processus de planification et d’aide au développement nationaux (Stern 2006).
Comme pour l’atténuation, il existe des cadres mondialement reconnus qui traitent de l’adaptation, le plus connu étant le Plan national d‟adaptation au changement climatique (PNACC). Toutefois, malgré la pertinence manifeste directe de l’adaptation pour les femmes et les hommes, ces cadres ne sont que rarement le reflet de leurs besoins ou de leurs connaissances. De même, on suppose souvent que les politiques d’adaptation sont neutres au genre. Pourtant, l’accès limité des femmes aux ressources, aux droits fonciers, aux informations, à la mobilité, aux technologies et au pouvoir décisionnel au foyer ou au sein de la communauté réduit leur capacité à influer, à participer ou à bénéficier des programmes ou politiques d’adaptation.
4.4.1. Les plans nationaux d’adaptation au changement climatique
À l’heure actuelle, les PNACC constituent le principal cadre traitant de l’adaptation. Ils ont été convenus lors de la CdP 7 au Maroc, en 2001, en reconnaissant que les pays du Sud avaient besoin d’une aide et d’un soutien financier pour développer des plans portant sur les impacts négatifs du changement climatique.
Les plans nationaux d’adaptation au changement climatique (PNACC)Les PNACC fournissent aux Pays les moins avancés (PMA) un moyen de hiérarchiser leurs activités d’adaptation par ordre de priorité en se concentrant sur les besoins les plus urgents et immédiats qui pourraient entraîner une vulnérabilité plus prononcée ou des coûts plus importants s’ils n’étaient pas traités.(8) Ils sont conçus pour agir tel un cadre stratégique pour le gouvernement, la société civile et les donateurs afin qu’ils collaborent en vue de réduire la vulnérabilité dans des secteurs et des sous-régions sensibles au climat en établissant les priorités parmi les activités visant des développements résilients face au climat et à faible intensité de carbone.(Site Internet de la CCNUCC) (9) |
L’adaptation offre la possibilité de traiter les impacts négatifs du changement climatique et d’accroître les capacités à faire face des femmes, présentement et à l’avenir. Pourtant, des politiques d’adaptation inappropriées risquent également d’accentuer les inégalités de genre. Les PNACC ont tendance à cibler les priorités à un niveau national. Ainsi, les problèmes et les risques de vulnérabilité communautaires sont ignorés. Des travaux de recherche ont montré que lorsque des initiatives nationales ne prennent pas en compte les priorités, les pratiques et les besoins locaux, les PNACC peuvent en fait nuire aux groupes locaux ou indigènes, par exemple, en donnant la priorité aux besoins nationaux, plaçant ainsi ceux de la communauté au second plan (Vincent, Wanjiru et al. 2010).
Le chapitre 5 étudie en quoi des politiques d’adaptation plus progressives pourraient ressembler, en se basant sur des exemples de bonnes pratiques innovantes, qui émergent déjà à l’échelle locale, à partir desquelles des leçons peuvent être tirées et qui peuvent être reproduites à plus grande échelle pour créer une approche facteur de changement plus sensible au genre face au changement climatique, à l’échelle nationale et internationale.
4.5. Financement du climat et genre
«Il ne peut exister d‟accord juste et équitable sur le climat sans une compréhension globale approfondie du financement du climat. Et cette compréhension ne peut être juste, équitable et approfondie que si elle intègre la sensibilité au genre et si elle s’efforce de trouver des solutions de financement équitable du climat en termes de genre». (Schalatek 2009 : 8) Tout accord mondial équitable portant sur le changement climatique comporte des questions-clés : qui doit financer les coûts du changement climatique ? Comment allouer ces fonds ? Ces questions ont dominé les récentes négociations sur le climat. Ces dernières années, les fonds s’attaquant au changement climatique ont véritablement proliféré, qu’il s’agisse de fonds nationaux ou bilatéraux, voire multilatéraux gérés par l’ONU, la Banque mondiale ou des banques multilatérales de développement (BMD). Actuellement, il n‟existe pas moins de 24 fonds différents établis pour fournir des financements dédiés à différents aspects du changement climatique, qu’il s’agisse de l’atténuation, des technologies, de l’adaptation ou du reboisement. Certains sont gérés par l’ONU, d’autres par la Banque mondiale, d’autres encore par des donateurs multilatéraux ou bilatéraux.
Pourtant, l’inégalité de genre a plutôt été passée sous silence lors de la création et de la gestion de ces mécanismes de financement. Peu d’attention a été prêtée au fait que les impacts du changement climatique sont différenciés selon le genre et que les fonds qui répondent à ces impacts doivent donc également prendre en compte ces différences dans leurs conception, mise en oeuvre et surveillance. Le Plan d’action de Bali définit un ensemble de principes normatifs qui établissent que le financement du changement climatique doit être « adéquat, durable, prévisible, [et] nouveau », mais les nombreux fonds qui ont vu le jour ces dernières années n’ont pas toujours pris en compte ces principes (Schalatek et Bird 2010).
La plupart des financements ayant trait au changement climatique se focalisent sur des initiatives d’atténuation du changement climatique à grande échelle, centrées sur les technologies et fondées sur le marché, qui visent une croissance sobre en carbone et ne s‟attaquent pas vraiment aux inégalités de genre. Ces financements, dans l’ensemble, ne cherchent pas non plus à inclure davantage les femmes et la population locale dans les décisions appropriées à leurs situations, comme des projets de plus petite envergure en matière d’énergie issue de la biomasse ou de reboisement communautaire, qui s’attaqueraient à la fois à la réduction de la pauvreté et à la réduction des GES (Lambrou et Piana 2006b). De plus, ces nouveaux fonds ne sont pas parvenus à se montrer soucieux du genre du fait de leur focalisation importante sur l’atténuation plutôt que sur l’adaptation. Il a récemment été prouvé qu’en 2011, seulement 13 % de l’ensemble du financement lié au climat étaient consacrés à l’adaptation, la majorité étant versée à des programmes d’atténuation à grande échelle dans lesquels ne figure aucune considération de genre. (10)
4.5.1. Les principales sources de financement pour le climat
Le fonds de l’ONU
Il existe quatre principaux fonds pour le climat au sein de l’ONU, dont trois sont mis en oeuvre par le biais du Fonds pour l‟environnement mondial (FEM) et un, le Fonds pour l’adaptation, est directement issu du protocole de Kyoto. Des difficultés ont été rencontrées : les donateurs ont tardé à honorer les engagements qu’ils avaient pris en raison d’un supposé manque de mécanismes adéquats et de redevabilité dans les pays en développement pour la perception et le décaissement de l’argent. L’efficacité du financement du FEM ainsi que le manque de sensibilité au genre ou d’objectif spécifique au genre ont également posé question (Schalatek 2009).
Le passage en revue de 36 projets liés au climat soutenus par le FEM entre 2003 et 2006 a montré que seuls quatre d’entre eux incluaient une sorte d’action intégrant le genre et seulement un projet comportait une analyse de genre ainsi qu‟une surveillance et une évaluation sensibles au genre. Les projets incluant une forme d’intégration du genre avaient tendance à être centrés sur les problèmes domestiques ayant trait à l’énergie issue de la biomasse et aux fours de cuisson, bien qu’un projet d’électrification rurale autonome au Nicaragua incluait des services de développement d’entreprises au profit de groupements de femmes entrepreneures en milieu rural, et un autre, au Mali, était consacré à l’accès universel à l’énergie, en adoptant une approche plus soucieuse du genre, comme décrit ci-dessous.
Un exemple de programme sensible au genre financé par le FEM Le Projet énergie domestique et accès aux services de base en milieu rural au Mali visait à développer l’accès des ménages à faibles revenus aux services énergétiques de base, en s’attaquant à la fois à la réduction de la pauvreté et à l’atténuation du changement climatique en se concentrant sur les énergies renouvelables. Reconnaissant que les femmes constituaient les principales actrices de la production de bois combustible et étaient les principales bénéficiaires de l’électrification rurale, le projet s’est basé sur des évaluations sociales, y compris des analyses de genre et la consultation de femmes et d’hommes lors de la phase préparatoire. Bien que le plan était principalement centré sur les femmes en qualité de bénéficiaires, il incluait également une focalisation sur les initiatives des femmes liées à l’électrification comme la transformation de produits agricoles, en collaboration avec des établissements de microcrédit. (FEM 2008) |
Les fonds de la Banque mondiale
Les Fonds d’investissement climatiques (FIC) offrent un moyen de financer un développement sobre en carbone et résilient face au climat au travers d’une variété de subventions, mais également de prêts plus controversés. Financés par le biais de contributions de donateurs bilatéraux et pensés pour être étroitement coordonnés avec les efforts bilatéraux et multilatéraux existants, notamment le FEM et le Fond d’adaptation, les FIC sont sensés s’ajouter à l’aide publique au développement (APD), bien que l’on craigne que les donateurs bilatéraux détournent des fonds de développement existants par ces nouveaux canaux (Schalatek 2009).
Des craintes ont été exprimées au sujet de la structure verticale impulsée par les donateurs des FIC, dans laquelle les pays du Sud, la société civile, les organisations à la base et les communautés locales ne peuvent s’exprimer que de manière limitée. Des critiques ont également été émises concernant leur manque de transparence dans la prise de décision et l’absence de toute sensibilité au genre (Rooke 2008). De manière générale, les femmes n’ont que très peu participé à leur conception. C’est en partie pour cette raison que les FIC ne sont pas parvenus à cibler les femmes dans leurs projets d’adaptation ou d’atténuation, bien qu’il soit prouvé que les femmes sont souvent en ligne de front en matière d’impacts du changement climatique (Mitchell, Tanner et al. 2007; Peralta 2008).
Le Fonds vert pour le climat
«Un nouveau fonds en faveur du climat mondial doit présenter une gouvernance juste et équitable. Il doit être transparent. En outre, il doit conférer aux communautés touchées par le changement climatique le pouvoir décisionnel.» (Oxfam 2011 : 1)
Un nouveau « Fonds vert pour le climat » a été convenu lors de la CdP 16 en 2010. Ce fonds est doté d‟un bureau dans lequel la représentation des pays en développement et développés équilibrée. Il a pour objectif d’agir tel un catalyseur afin de stimuler davantage les financements publics et privés en faveur du changement climatique. Il est proposé que 30 milliards de dollars supplémentaires soient fournis durant la période de 2010 à 2012, pour lever pas moins de 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020. La création d’un Fond vert pour le climat unique marque une étape décisive dans la simplification de la structure actuelle du financement du climat, mais des efforts doivent encore être fournis pour s’assurer que le fonds est attentif au genre.
4.6. Comment aller de l’avant dans la création de processus nationaux et internationaux plus sensibles au genre?
Le point précédent a fait état des structures internationale et nationale actuelles traitant du changement climatique, en mettant en exergue la séparation entre, d’une part les solutions « du haut vers le bas » actuelles, qui favorisent les pays et personnes riches en se focalisant sur le marché et d’autres aides financières et, d’autre part, les personnes qui souffrent le plus du changement climatique. Il met en avant l’aveuglement de genre des politiques, des cadres et des institutions nationaux et internationaux qui ont dominé le théâtre du changement climatique mondial à ce jour. Le présent point propose des recommandations concrètes afin de permettre une architecture du changement climatique plus sensible au genre. Dans certains cas, nous appelons à repenser radicalement les stratégies actuelles, comme l’utilisation de marchés du carbone. Dans d’autres cas, nous exposons les changements requis au sein des institutions, processus et politiques existants.
4.6.1. Mettre en lumière les politiques et processus liés au changement climatique aveugles au genre
Comme nous l‟avons constaté, les institutions mondiales centrées sur le changement climatique commencent à aborder le genre, mais il s’agit trop souvent d’un « ajout » aux processus et décisions existants. Au vu de la relative récente apparition du problème du changement climatique en termes d’enjeux de développement, une opportunité unique s’offre désormais à nous : nous devons nous assurer que les débats et réponses au changement climatique soient sensibles au genre et placent les populations au centre dès le commencement, lors de la conception et de la mise en place de nouvelles institutions et politiques et de nouveaux mécanismes de financement.
Pour parvenir à des politiques et processus sensibles au genre, il est important de reconnaître les niveaux auxquels apparaissent les structures, processus et suppositions tendant à favoriser les hommes et/ou les pays développés du « Nord ». Des audits sociaux et de genre peuvent être utilisés pour les révéler en évaluant la mesure dans laquelle les institutions et structures chargées du changement climatique sont aveugles au genre. Cela vaut également pour le financement du changement climatique. Par exemple, un audit de genre peut évaluer si les ressources sont accessibles de manière égale à toutes les parties prenantes, hommes comme femmes, et si elles répondent aux besoins des femmes comme des hommes et leur profitent à égalité.
Des exemples d’audits existent d‟ores et déjà, comme ceux menés par Energia (voir encadré ci- dessous) dans lesquels l’audit de genre a été utilisé pour surveiller les politiques de développement à faible intensité de carbone, mesurer le niveau de sensibilité au genre à grande échelle et les effets de ces politiques sur les femmes et les hommes à petite échelle (Parikh et Sangeeta 2009).
Évaluation de genre des politiques énergétiques
Le réseau international sur le genre et énergie durable, Energia, a réalisé des audits de genre au Botswana, au Kenya, au Sénégal et en Inde, qui ont permis d’élaborer un modèle pour les audits de genre d‟autres politiques relatives au développement à faible intensité de carbone, à l’atténuation et à l’adaptation. Contrairement aux audits de genre d’organisations, les audits de politiques comprennent une analyse de la façon dont le genre est intégré dans le contenu et la stratégie des politiques (en l’occurrence, dans le secteur énergétique) et l’impact qu’ils ont sur les relations de genre en termes de réponses aux besoins pratiques et stratégiques des femmes au sein d’un cadre alliant genre, énergie et pauvreté.
Les audits font appel à une méthodologie innovante qui associe une analyse macroéconomique de la politique énergétique, qui évalue le degré de prise en compte du genre et des besoins des femmes dans l’investissement et les importations à l’échelle nationale, une analyse méso-économique de la façon dont l’investissement est dépensé et une analyse participative micro-économique de la façon dont les bénéficiaires et parties prenantes sont touchées (voir chapitre 5 pour de plus amples informations sur les approches participatives). Ainsi, une analyse approfondie de la planification énergétique et des budgets est réalisée. Les audits concourent également à renforcer la capacité institutionnelle des ministères à mettre en œuvre des stratégies intégrant le genre et à mettre en lumière les liens entre le genre, l’énergie et les objectifs nationaux de réduction de la pauvreté (Mbuthi, Odongo et al. 2007 ; Parikh et Sangeeta 2009).
4.6.2. Transformer les institutions dédiées au changement climatique
Pour que la transformation ait lieu, l’engagement politique pour l’égalité de genre est requis aux plus hauts niveaux des institutions internationales telles que la CCNUCC et la Banque mondiale et des fonds multilatéraux et bilatéraux qui dominent actuellement l‟architecture du financement du climat mondial, en descendant jusqu’au niveau des organisations communautaires impliquées dans la mise en œuvre des interventions locales. Pour ce faire, il est essentiel que la sensibilité et la compréhension du genre en matière de changement climatique soient améliorées au travers de preuves et de données plus solides et plus claires expliquant en quoi le genre compte, d‟une formation systématique au genre au sein de toutes les institutions pertinentes, de l’introduction d’indicateurs de genre clairs dans la surveillance et l’évaluation de toutes les politiques d’adaptation et d’atténuation et de mises en œuvre de budgets sensibles au genre (BSG). La BSG consiste en :
« Une planification, une programmation et une budgétisation concourant à la progression de l’égalité de genre et à l‟accomplissement des droits de femmes. Elle implique l’identification des interventions requises afin de à s’attaquer aux disparités de genre dans les politiques, planifications et budgets publics sectoriels et locaux, et en est l’expression. La BSG vise également à analyser [sic] les impacts différenciés de genre des politiques fiscales, de l‟allocation des ressources nationales et de l‟aide publique au développement ».
(Site Internet d’ONU Femmes sur la BSG ; voir également Balmori 2003)
Il est également fondamental de s’assurer que toutes les institutions et tous les processus adoptent une approche basée sur les droits humains. Bien qu’aucun des instruments sur les droits humains internationaux présentés dans le chapitre 2 (y compris la CEDEF et la Déclaration universelle des droits de l’homme) ne protège explicitement les droits des femmes dans le contexte du changement climatique, nombre d’entre eux reconnaissent et font la promotion du rôle pivot des femmes dans le développement durable. Ainsi, ils peuvent fournir un cadre normatif pour intégrer le genre dans l‟architecture internationale et les processus de gouvernance du changement climatique, notamment ceux liés à la convention-clé que représente la CCNUCC (voir point 4.1.2). Adopter une approche plus fondée sur les droits, qui reconnaît les liens déjà établis entre le genre et l’environnement, serait un pas décisif dans l’intégration des principes-clés qui autonomisent les femmes face au changement climatique (PNUD 2009 ; Raczek et al. 2010).
4.6.3. Trouver des alternatives aux politiques fondées sur le marché
Le point 4.3.1 souligne l’approche dominante fondée sur le marché visant à maîtriser le changement climatique, tout en identifiant les façons dont ces processus marginalisent les pays en développement et sont aveugles au genre dans leur conception et leur mise en œuvre.
La question essentielle de savoir si cette approche est la bonne nécessite un sérieux débat.
L’utilisation du marché et des mécanismes fondés sur le marché, comme le négoce du carbone, pour résoudre un problème dont beaucoup considèreraient que les marchés et le capitalisme mondial sont à l’origine, est très controversée. Il en va de même pour les graves implications en termes d’égalité de genre, au vu des preuves limpides selon lesquelles les marchés profitent rarement aux femmes et aux hommes à égalité (Roehr et al. 2008). Nous pensons qu’une approche plus holistique et pragmatique est requise. Celle-ci doit se baser sur les problèmes de dignité humaine, en améliorant l’accès aux énergies renouvelables propres pour tous, y compris les plus pauvres, en augmentant la résilience face aux événements météorologiques extrêmes et en permettant aux sociétés de mieux gérer les risques climatiques (Prins, Galiana et al. 2010). Le chapitre 5 donne des exemples de pratiques d’atténuation plus durables pour l’environnement, qui respectent la culture locale et les normes de genre et, dans certains cas, s’attaquent aux inégalités de genre.
Si les approches fondées sur le marché continuent de dominer la stratégie d’atténuation, il est essentiel que des mesures soient prises pour s’assurer qu’elles bénéficient à égalité aux femmes comme aux hommes et n’excluent pas ni ne défavorisent davantage les femmes.
4.6.4. Changer de comportement et de mode de consommation
« Le succès découle du changement des comportements et de la transformation de l’opinion publique. Les individus, en tant que citoyens et consommateurs, détermineront l’avenir de la planète. Bien qu’un nombre grandissant de personnes disposent d’une connaissance du changement climatique et pensent que l’action est nécessaire, trop rares sont ceux qui en font une priorité et trop nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à agir lorsqu’ils en ont l‟opportunité. Ainsi, le principal défi consiste à changer les comportements et les institutions, notamment dans les pays à revenus élevés. Les changements des politiques publiques, qu’elles soient locales, régionales, nationales ou internationales, sont nécessaires pour rendre l’action privée et civique plus aisée et plus attrayante ».
(Banque mondiale 2010b : xxi)
Le Rapport sur le développement dans le monde considère le changement comportemental comme l’un des plus grands défis dans la lutte contre le changement climatique, mais ne semble pas reconnaître les dimensions de genre ou l’importance de la prise en compte des différenciations de genre en termes de modes de consommation et de comportement (Banque mondiale 2010b).
Le transport est un domaine où il semble évident qu’une approche sensible au genre faisant appel à l’implication et à la participation active des femmes peut entraîner des changements sur le long terme, couronnés d’un plus grand succès (Spitzner 2007 ; OCDE 2008). La recherche montre que des facteurs économiques, sociaux et culturels restreignent la mobilité des femmes. De plus, elles sont 67 plus susceptibles d’utiliser les transports en commun ou, dans le cas de nombreux pays pauvres ruraux du Sud, de marcher (Dankelman 2010). Pourtant, à ce jour, les efforts en direction de l’intégration des dimensions de genre dans les réponses politiques nationales ayant trait au transport ont été limités.
Des approches plus sensibles au genre tenant compte de différentes formes d’utilisation des transports et impliquant les femmes comme les hommes dans la prise de décision ayant trait à la politique du transport auraient pour résultat non seulement des systèmes de transport plus durables et accessibles, mais également la réduction des émissions sur le long terme (Johnsson-Latham 2010).
Un exemple indonésien est exposé ci-dessous : il s’agit d’une approche sensible au genre de la politique relative au transport qui entraîne des résultats plus efficaces.
L’égalité de genre dans les modes de transport : exemple indonésien
Une approche sensible au genre a été développée dans un projet soutenu par la banque de développement allemande KfW pour la promotion du transport régional aux alentours de Djakarta. Ce projet énonçait la façon dont les politiques de transport urbain peuvent renforcer les inégalités de genre et cherchait des moyens permettant à ces politiques de promouvoir un changement positif en direction des femmes. En procédant à une évaluation de l’impact de genre, il a mis en évidence le fait que le développement urbain est loin d’être neutre en termes de genre et que les politiques de modernisation reposaient souvent sur des perspectives et des intérêts masculins.
L’étude a mis en évidence un fort parti pris en faveur du transport privé motorisé, dont les femmes sont souvent exclues du fait de leur statut économique inférieur, et une omission de la structure de transports publics locale et régionale dont bénéficieraient les femmes et les hommes à égalité. En conséquence, les femmes perdaient leur temps à voyager entre les banlieues et le centre-ville dans des transports publics inadaptés, non respectueux de l’environnement et souvent dangereux, peinant à concilier leur double responsabilité : gagner leur vie et prendre soin de la famille. L’investissement dans le réseau urbain ferroviaire léger a eu des impacts positifs sur le genre et le climat en reliant les zones résidentielles périphériques, où se déroulent les travaux ménagers, au centre-ville, rendant plus aisé pour les femmes comme les hommes des alentours de Djakarta d’accroître leur mobilité sans augmenter leurs émissions de gaz carbonique.
(Spitzner 2007)
4.6.5. Développer des politiques d’adaptation sensibles au genre
Comme mentionné précédemment, les politiques d’adaptation doivent bien mieux refléter et traiter les intérêts spécifiques des femmes et des hommes, notamment ceux dont les moyens de subsistance sont directement touchés par le changement climatique. Elles doivent à la fois reconnaître en quoi la distribution inéquitable des droits, des ressources et du pouvoir limite la capacité de nombreuses femmes à agir face au changement climatique et remettre en question les normes de genre et les déséquilibres de pouvoir afin d’améliorer la résilience des populations. À ce jour, rares sont les 68 stratégies d’adaptation qui ont connu un succès dans ces trois domaines, mais CARE International travaille au développement d’une méthodologie pour y parvenir.
Des approches transformatrices de l’adaptation : CARE International
Huit recommandations-clés :
1. Faire reposer les politiques d’adaptation sur une analyse détaillée, participative et sensible au genre de la vulnérabilité face au changement climatique.
2. Reconnaître les disparités de vulnérabilité au sein des pays, communautés et foyers afin de cibler des stratégies d’adaptation en conséquence.
3. Développer les connaissances et les capacités existantes des hommes, des femmes, des filles et des garçons.
4. Autonomiser les femmes et les filles vulnérables afin qu’elles développent leur propre capacité d’adaptation.
5. Planifier et mettre en œuvre des stratégies d’adaptation en faisant participer les femmes comme les hommes, y compris les plus vulnérables au sein de la communauté.
6. Promouvoir des politiques et programmes aux échelles locale, nationale et internationale qui répondent aux besoins spécifiques des femmes et des hommes pauvres.
7. Aider les femmes et les hommes à accéder aux ressources, droits et opportunités dont ils ont besoin pour s’adapter 8. Promouvoir l’égalité de genre en tant qu’objectif à long terme.
(CARE International 2010)
4.6.6. Faire le lien entre atténuation et adaptation
S’il est essentiel de reconnaître et traiter les dimensions de genre particulières de l’atténuation et de l’adaptation, le besoin de reconnaissance et de renforcement des corrélations entre ces deux stratégies est également urgent. Des politiques plus synchronisées d’atténuation et d’adaptation sont nécessaires pour refléter les besoins en sources d’énergie et en capacité d’adaptation au changement climatique des femmes et des hommes pauvres du Sud. Une meilleure harmonisation entre l’atténuation et l’adaptation est également cruciale pour s’assurer que les efforts d’atténuation et de réduction des émissions de gaz carbonique sont compatibles avec les efforts d’accession à la justice de genre et permettre d’autres avancées, comme l’autonomisation économique des femmes (Rossi et Lambrou 2008 ; GIZ 2010b).
4.6.7. Faire des femmes des partenaires égaux dans la prise de décision des réponses au changement climatique
« Le processus de changement climatique international ne sera pas en mesure d’acquérir une véritable légitimité mondiale ou une pertinence à moins qu’il n’adopte des principes d’équité de genre à toutes les étapes du processus, depuis la recherche scientifique, en passant par l’analyse, l’élaboration des calendriers, la négociation, la prise de décision, la mise en œuvre de régimes, jusqu‟à un développement plus approfondi et une évaluation ».
(Dennison 2003 : 1)
Dans une large mesure, l’aveuglement de genre des institutions et processus est lié au manque de parité de genre dans la prise de décision ou au manque de capacité des femmes à s’impliquer pleinement en raison de responsabilités de Care45 non rémunérées ou de groupes existants chargés de la prise de décision empreints de préjugés masculins (voir Brody 2009). Pour que les politiques relatives au changement climatique deviennent équitables et efficaces, il est donc essentiel de promouvoir la participation significative des femmes dans la prise de décision à tous les niveaux : de l’échelle locale à l’échelle mondiale. Ce n’est qu’en impliquant les femmes à égalité avec les hommes que des réponses parviendront à refléter les réalités locales, à satisfaire les besoins propres aux femmes et à tirer parti de leurs connaissances, compétences et capacités particulières. Bien qu’il n’y ait aucune garantie que les femmes représentent automatiquement les préoccupations des plus pauvres et des plus exclus, l’inclusion des femmes et l’obtention d’un meilleur équilibre de genre dans les négociations à tous les niveaux représenteraient un bon début (Brody et al. 2008).
Toutefois, pour y parvenir et pour que les femmes soient en mesure de participer de manière significative et efficace à tous les niveaux décisionnels, il est nécessaire de développer la capacité des femmes au travers de la défense de la cause et de la formation au leadership pour développer leurs compétences et leur assurance afin que leur voix soit entendue (Dennison 2003). Cela implique des étapes simples, comme l’amélioration de l’information à l’attention des femmes sur le changement climatique et leur sensibilisation à leurs droits ainsi qu’aux lois, aux politiques, aux institutions et aux structures qui régissent leur vie. Cela implique également la création d’un environnement plus habilitant, pour que les femmes s’engagent dans les processus décisionnels, au travers de changements politiques, légaux, économiques et culturels qui leur donnent un meilleur contrôle des ressources et du pouvoir décisionnel afin de renforcer leur capacité à s’élever et à s’assurer que leurs voix soient entendues dans l’élaboration de réponses face au changement climatique (CARE 2010).
L’exemple présenté ci-dessous montre comment le leadership des femmes est développé dans le contexte du changement climatique au Sénégal.
Impliquer les femmes en qualité de leaders du changement climatique à l’échelle nationale au Sénégal
Au Sénégal, un Comité national sur les Changements climatiques (COMNAC) a été mis sur pied par la Direction de l‟Environnement et emploie des femmes à des postes d’encadrement. Il joue un rôle important en contribuant à l’intégration du genre dans les politiques nationales relatives au changement climatique, en donnant un exemple positif d’une équipe menée par des femmes qui peut promouvoir l’autonomisation, l’inclusion et le développement des capacités des femmes dans tout le pays pour l’adaptation au changement climatique. Lors de la préparation du PNACC national, les femmes ont participé aux consultations publiques organisées dans chaque région afin de collecter des informations sur des solutions d’adaptation à l’échelle locale, car il a été reconnu que le savoir indigène est important pour l’obtention de résultats durables.
(Otzelberger 2011 : 24)
Il est également important de soutenir le leadership des femmes parlementaires et des femmes décisionnaires à travers le monde pour qu’elles apportent une perspective de genre dans la formulation des politiques relatives au changement climatique. Mary Robinson prend fait et cause pour ce processus. Comme indiqué au chapitre 2, elle a récemment créé une nouvelle fondation pour la justice climatique.46 Lors d’un événement en marge de la CdP 16 à Cancún en 2010, elle a souligné l’importance de l’action des femmes en tant que puissantes militantes et de leur collaboration pour une justice sociale et de genre dans des sujets-clés comme le financement du changement climatique, l’atténuation, le transfert de technologies, le développement des capacités, la planification nationale et la REDD. Elle a mis l’accent sur l’importance de l’engagement de plus de femmes dans la surveillance, la reddition des comptes et la vérification des politiques et programmes liés au climat afin de s’assurer de leur transparence, du respect de l’obligation de rendre des comptes et de la prise en compte des dimensions de genre pour la protection des plus pauvres et des plus vulnérables.
En fin de compte, assurer une participation et une prise de décision plus équitables nécessite une approche duelle : ouvrant non seulement des espaces au sein des gouvernements et des institutions internationales pour une participation plus équilibrée des femmes et des hommes mais aussi autonomisant les femmes à la base pour s’assurer que leurs voix soient entendues dans les négociations locales, nationales et internationales en réponse au changement climatique.
Résumé
Ce chapitre a porté un regard critique sur les réponses nationales et internationales actuelles au changement climatique. Il a examiné les structures et cadres mondiaux et nationaux liés au changement climatique avec des lunettes de genre. Il a étudié en quoi ils sont actuellement aveugles au genre et identifié les points d‟entrée pour rendre les institutions, politiques et processus plus sensibles au genre et éventuellement transformateurs. Ce chapitre plaide en faveur d’une moindre utilisation des mécanismes fondés sur le marché, comme le négoce du carbone, et d’une approche centrée sur les populations et fondée sur une approche basée sur les droits qui profite à ceux qui sont pauvres et n’accentue pas les inégalités de genre. Le chapitre suivant examine comment des approches plus participatives, qui reflètent les réalités locales et donnent l‟égale possibilité aux femmes et aux hommes de s’exprimer, contribuent à l’élaboration de solutions plus efficaces et plus justes face au changement climatique.
———–
(1) Observations faites par Women’s Environment and Development Organization (WEDO), une organization de femmes pour le développement et l’environnement basée aux États-Unis, sur http://www.endpoverty2015.org/.
(2) Ensemble des aides et soins apportés en face à face aux personnes dépendantes dans les économies formelle et informelle, incluant soin de leur famille, protection des enfants, gestion de leur alimentation et de leur éducation, gestion des tâches d‟assainissement, assurance de la sécurité de la communauté, etc.
(3) Le site Internet de GenderCC présente de plus amples informations au sujet des aspects de genre des approches fondées sur le marché : http://www.gendercc.net/policy/topics/flexible- mechanisms.html.
(4) www.climatefundsupdate.org
(5) http://cdm.unfccc.int/Projects/DB/DNV-CUK1131002343.1/view
(6) La géo-ingénierie est le terme utilisé pour décrire les efforts humains délibérés visant à altérer le climat de la planète afin de compenser les effets du réchauffement climatique dus aux GES.
(7) Voir les recommandations de l’Optimum Population Trust sur http://populationmatters.org/.
(8) En septembre 2009, 43 des 49 PMA avaient soumis des PNACC au Secrétariat de la CCNUCC.
(9) http://unfccc.int/national_reports/napa/items/2719.php
(10) www.climatefundsupdate.org
(11) Vous trouverez de plus amples informations au sujet des audits de genre d’Energia sur http://www.energia.org/knowledge-centre/gender-audit-reports/
(12) www.gender-budgets.org
(13) Disponible sur http://www.gtz.de/de/dokumente/gtz2010-en-climate-change-and-gender.pdf.
(14) Ensemble des aides et soins apportés en face à face aux personnes dépendantes dans les économies formelle et informelle, incluant soin de leur famille, protection des enfants, gestion de leur alimentation et de leur éducation, gestion des tâches d‟assainissement, assurance de la sécurité de la communauté, etc.
(15) Mary Robinson, ancienne Présidente de l’Irlande, a fondé la Mary Robinson Foundation for Climate Justice, dont l’objet est de promouvoir la justice mondiale pour les victimes du changement climatique à travers le monde et adoptant une démarche basée sur les droits et centrée sur l’humain (voir http://www.mrfcj.org/)
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.