Ressource
Titre de la source : Femmes et féministes contre la violence masculine, néolibérale et guerrière au MexiqueAuteur(s) : Jules Falquet
Éditeur(s) : Syllepse
Pays d'édition :
Année : 2014
Femmes et féministes contre la violence masculine, néolibérale et guerrière au Mexique (docx, 156 Ko)
Depuis mars 2012 et pour trois ans, s’est ouvert au Mexique le Tribunal Permanent des Peuples (TPP), dont l’objectif est de rendre visibles les violations massives des droits humains et des droits des peuples. Jules Falquet, sociologue et responsable du Master-recherche « Genre et Développement » de l’Université Jussieu-Paris Diderot (Paris 7) y participe comme juge de conscience. Dans cet article, elle retrace l’histoire d’un pays submergé dans une violence sexiste, raciste et de classe et d’un ensemble de mobilisations et de résistances sociales témoins de cette conjoncture.
Voici le début de l’article :
« Les 7 et 8 mars 2012, a eu lieu au Chiapas la première pré-audience du Chapitre mexicain du Tribunal Permanent des Peuples (TPP)(1) sur les féminicides et les violences masculines. Cette initiative remarquable d’un ensemble de femmes, de féministes et d’associations de la société civile vise à répondre au déferlement de violence qui s’est abattu sur le Mexique —déjà fortement malmené par les politiques d’ajustement structurel des années 80 puis le Traité de libre échange signé en 1994 avec les Etats-unis et le Canada, et maintenant plongé dans un véritable bain de sang par la “guerre contre le narcotrafic” lancée en 2007 par le président Calderón.
Je reviendrai ici sur l’histoire économique et politique récente du Mexique, avant de montrer comment les femmes et les féministes sont parmi les premières à s’organiser pour dénoncer et mettre un terme au continuum de la violence patriarcale, raciste et capitaliste, qui prend désormais le visage d’une “violence narco-militaro-néolibérale”.
Le Mexique : un pays qui s’enfonce dans la narco-militarisation néolibérale contre-insurrectionnelle
Tout au long des années 80, puis avec le Traité de libre commerce avec les Etats-unis et le Canada (TLC) à partir de 1994, le Mexique a appliqué des politiques d’ajustement structurel qui ont détruit systématiquement l’économie rurale et les communautés indiennes du pays. Face aux multiples révoltes et luttes stimulées par l’apparition du mouvement zapatiste, le gouvernement a appliqué sans discontinuer une stratégie contre-insurrectionnelle de “guerre sale”, créant dans la plupart des régions indiennes, des bases militaires d’occupation et des groupes paramilitaires. Les femmes indiennes sont les premières visées par la violence contre-révolutionnaire, comme le montrent trois cas particulièrement emblématiques et à ce jour impunis. D’abord, les trois jeunes indiennes Tzeltal, dont le viol à un barrage militaire à Altamirano, le 4 juin 1994, marque le début de la guerre sale. Ensuite, le massacre de 34 femmes et petites filles et 12 hommes indien-ne-s par des paramilitaires à Acteal, le 22 décembre 1997. Les quatre femmes enceintes furent éventrées et leurs foetus arrachés, aux cris de : “il faut en finir avec la graine”. Enfin en 2007, dans la sierra de Zongólica (Guerrero), le viol et l’assasinat par des militaires d’Ernestina Ascensión Rosario, indienne nahua de 73 ans —ensuite présenté en dépit de toutes les évidences comme une mort naturelle.
Le nord du pays, région des grandes plantations agroindustrielles et des zones franches pour l’exportation, n’est pas épargné par la violence des années 90. Alors que les migrations nationales et centraméricaines vers les Etats-unis vont croissant, passer la frontière coûte de plus en plus souvent la vie. Pour qui restent bloqué-e dans la ceinture maquiladora [usines d’assemblage], l’exploitation s’intensifie. A partir de 1993, à Ciudad Juarez, on commence à retrouver des cadavres de jeunes femmes horriblement torturées et violées, assassinées et jetées dans le désert, parfois dans des décharges, dans la plus totale impunité (Washington 2005). Peu à peu, des groupes de femmes, de mères notamment, s’organisent pour dénoncer l’inaction des pouvoirs publics et réclamer la justice, malgré les menaces et les assassinats qui commencent à les frapper elles aussi. Les expressions “féminicides”, dérivée des travaux de Diana Russel (Radford & Russell 1992), puis “féminicides sexuels sériels” (Mónarez Fregoso 2011) apparaissent pour désigner ces assassinats. Le phénomène s’étend progressivement dans tout le pays, notamment dans le Chiapas où la lutte contre-révolutionnaire fait rage, et dans l’Etat de Mexico (Lagarde 2006, Olivera 2008).
Depuis la Conférence sur « la Femme » organisée par l’ONU en 1995 à Pékin, le gouvernement mexicain, comme bien d’autres, paraît « tendre la main » aux femmes. D’abord, sur le plan des politiques publiques. Ainsi, le programme Progresa, lancé en 1997, se distingue par le fait que l’État remet directement aux femmes des familles pauvres une aide financière sonnante et trébuchante —extrêmement modeste (Magaña García 2009). En 2001, c’est soi-disant pour ne pas porter tort aux femmes indiennes que le gouvernement refuse de modifier la Constitution pour y inscrire le respect des « Us et coutumes indiennes », dont certaines seraient attentatoires aux droits des femmes(2) . Dans un autre ordre d’idées, en 2005, est votée en grande pompe une loi contre la violence faite aux femmes, qui crée un Système national contre la violence. (…) »
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.