Le « genre » commence enfin à être reconnu en tant qu’aspect important de notre conception du changement climatique et de l’élaboration des réponses efficaces et durables aux niveaux local, national et international. Par exemple, le Groupe de travail spécial de l’action concertée à long terme de la CdP 16 de la CCNUCC qui s’est tenue en 2010 a souligné que « les effets du changement climatique seront ressentis le plus durement par ces segments de la population qui sont déjà les plus vulnérables pour des raisons de géographie, de genre, d’âge, de statut indigène ou de minorité et de handicap » et que « l’égalité de genre et la participation effective des femmes et des peuples indigènes sont importantes pour que l’action sur tous les aspects du changement climatique soit efficace.» Ce groupe affirme que l’action d’adaptation doit adopter une « démarche propre à chaque pays, sensible au genre, participative et pleinement transparente » (CCNUCC 2010 : 1–3).17 (1)
Ces changements sont vivement souhaités, mais à bien des égards, le terme « genre » est devenu, dans le contexte du changement climatique, un mot « fourre-tout » utilisé pour décrire un ensemble de problèmes de manière plutôt apolitique et sans nuance. Plus remarquable encore, le «genre» est souvent entendu comme ne traitant que des besoins des femmes plutôt que des relations sociales inégales entre les femmes et les hommes qui sont guidées par le pouvoir. De ce fait, les politiques, institutions et processus du changement climatique sont moins efficaces, ce qui signifie que l’on passe à côté du potentiel qu’ils renferment en termes de contribution au changement social.
Le point qui suit amorce l’esquisse d’une démarche « facteur de changement» en termes de genre et de changement climatique. Celle-ci est exposée plus en détail dans chacun des points suivants. Tel qu’indiqué dans l’introduction, nous plaidons pour un reformulation du changement climatique et des réponses qui y sont apportées, qui soit focalisée sur les populations et sensible au genre et qui appréhende les dimensions complexes et multiples de genre du changement climatique plutôt que d’« ajouter » les problèmes de genre comme une réflexion après coup. Nous pensons qu’une compréhension de ces différentes dimensions est essentielle pour construire une vision cohérente et intelligible du problème et fournir des pistes claires afin d’apporter des solutions au travers de stratégies adéquates.
Le problème ne peut être abordé efficacement qu’en transformant la façon dont nous considérons et répondons au changement climatique, en tenant compte des besoins souvent différents des femmes et des hommes, en appréciant les normes sociales et inégalités particulières qui les limitent ou leur permettent d’agir et en leur accordant un rôle égal dans la prise de décision. Quoi qu’il en soit, le changement climatique et les réponses à y apporter offrent également l’opportunité, non seulement de reconnaître les inégalités mondiales et les relations de pouvoir inégales entre les hommes et les femmes, mais également de s’attaquer à ces inégalités et, ce faisant, de contribuer à la transformation sociale et de genre en tant que fin en soi.
Tout d’abord, ce point assure une clarté conceptuelle quant au sens que nous donnons à la terminologie genre et changement climatique, en soulignant qu’une démarche sensible au genre ne concerne pas seulement les femmes, mais doit se baser sur une compréhension des relations de genre. Ce point présente ensuite selon quelles multiples manières les normes, rôles et attentes de genre socialement ancrés influent l’expérience faite du changement climatique et le degré de participation aux réponses qui y sont apportées. Il esquisse l’identification de potentielles réponses sensibles au genre et transformatrices face au changement climatique et présente certains des cadres disponibles pour aborder le genre en contexte de changement climatique, qui peuvent être utilisés individuellement ou ensemble pour aborder différentes dimensions de genre du changement climatique. Les points suivants mettent en application cette démarche au travers d’une analyse plus détaillée des impacts, politiques et initiatives ayant trait au changement climatique.
2.1. Qu’entendons-nous par «genre et changement climatique» ?
Trop souvent, la nécessité de prise en compte des questions de genre dans les politiques et les pratiques relatives au changement climatique est interprétée comme un simple besoin de mieux comprendre les besoins et les vulnérabilités des femmes et de les inclure dans la prise de décision. Bien que nous reconnaissions que l’identification des besoins et droits spécifiques des femmes dans le contexte du changement climatique est fondamentale, nous sommes également fermement convaincus que les réponses apportées au changement climatique doivent être fondées sur la compréhension des relations entre les hommes et les femmes au niveau du foyer et de la communauté au sens plus large et de la façon dont ces relations sont affectées et influencées par les réponses au changement climatique.
Il s’agit de comprendre les « rôles socialement construits et les opportunités qu’impliquent le fait d’être un homme ou une femme et les interactions et relations sociales entre les hommes et les femmes» (PNUD 2009: 24). En d’autres termes, si le genre est une question de femmes et de droits des femmes, c’est aussi une question de justice sociale.
Une analyse de genre centrée sur ces relations doit examiner et remettre en cause les «normes de genre» ancrées et les déséquilibres de pouvoir qui influencent la mesure dans laquelle les personnes sont touchées par le changement climatique et leur capacité à développer une plus grande résilience (CARE 2010). Au Vietnam, par exemple, des travaux de recherche menés par l’agence GIZ et AusAid ont montré que le changement climatique a aggravé les vulnérabilités de genre existantes du fait des rôles différenciés occupés par les hommes et les femmes en matière de moyens de subsistance. La charge de travail des femmes avait tendance à augmenter du fait de la nécessité de repiquer le riz causée par des pluies tardives. Les femmes trouvaient également plus difficile d’élever du bétail à cause de la disponibilité réduite des ressources naturelles et de l’eau douce (GIZ 2010a: 29).
Les hommes sont également touchés de manière spécifique en raison de leur rôle social de pourvoyeurs du foyer et du fait que l’on attend d’eux qu’ils soient « courageux » en cas de catastrophe ou de maladie. Par exemple, le changement climatique peut réduire les opportunités qui s’offrent aux hommes de trouver un travail rémunéré, causant le chômage et une mauvaise estime de soi pour l’homme et une pauvreté accrue pour sa famille. La recherche a également montré que les hommes sont plus enclins à risquer leur vie lors d’événements liés au climat, comme les inondations ou les tempêtes (voir point 3.3).
Un examen approfondi des rapports sociaux de genre doit aborder les questions de pouvoir, en étudiant en quoi le positionnement social différentié défavorise souvent les femmes par rapport aux hommes, aggravant ainsi des formes existantes de discrimination et en créant de nouvelles (voir, par exemple, Kabeer 1999, Jackson 1998 et Agarwal 1997). Toutefois, lorsque l’on reconnaît ces relations de pouvoir, il est également important de garder à l’esprit que les rôles masculins et féminins ne correspondent pas toujours aux schémas « normaux » universels et que les interventions face au changement climatique doivent répondre à une grande variété de besoins et situations, comme par exemple, les foyers dirigés par des femmes. De plus, alors qu’il peut exister des similarités universelles en termes de rôles, responsabilités et relations de genre, la façon dont ils prennent forme et interviennent diffère considérablement suivant les régions, les pays et les localités. Une compréhension de ces contextes particuliers est essentielle aux interventions face au changement climatique, afin qu’elles soient pertinentes et sensées.
2.2. Pourquoi prendre en considération les dimensions de genre du changement climatique?
2.2.1. Les inégalités de genre en termes de pouvoir affectent l’expérience que font les hommes et les femmes du changement climatique
Les inégalités socialement ancrées influencent le degré selon lequel les femmes sont touchées par le changement climatique. Par exemple, l’absence de droits de propriété et de propriété foncière des femmes signifie qu’elles sont souvent obligées de travailler sur des terres moins productives et sont exclues de l’accès aux services de formation agricole ou aux apports qui pourraient leur permettre de diversifier leurs moyens de subsistance ou d’augmenter leur résilience face aux bouleversements liés au climat, comme des inondations ou des sécheresses (FAO 2011). Leur taux d’analphabétisme plus élevé et leur manque d’accès à l’information au sujet des catastrophes induites par le changement climatique peuvent augmenter leur exposition au risque, alors que le manque de formation à des compétences permettant éventuellement de sauver des vies, comme la natation, peuvent accroître ce risque (Brody, Demetriades et al. 2008). Lorsque le changement climatique entraîne des pénuries de vivres ou d’eau, les normes culturelles peuvent faire que la malnutrition frappe plus durement les filles et les femmes. Dans certaines régions d’Asie, par exemple, on s’attend à ce que les femmes ne mangent qu’une fois qu’elles ont nourri leurs familles, ce qui affecte la part de nourriture qui leur revient (Ramachandran 2006).
Il existe également des impacts indirects qui affectent le bien-être des femmes. Le risque de pénuries d’eau, d’énergie et de denrées alimentaires résultant du changement climatique peuvent rendre plus chronophages les rôles domestiques qui constituent souvent un domaine réservé aux femmes, limitant ainsi le temps dont elles disposent pour se lancer dans des activités de prises de décision, génératrices de revenus ou communautaires, ce qui de fait réduit leurs opportunités d’autonomisation ou de changement stratégique. De plus, des risques sanitaires accrus dus au changement climatique peuvent augmenter le temps consacré aux soins à la personne, un autre domaine genré dans lequel les femmes sont susceptibles de jouer le rôle principal. (2)
2.2.2.Le changement climatique risque d’aggraver les inégalités de genre
Le changement climatique agit tel un verre grossissant : il expose aux inégalités de genre existantes sous-jacentes et peut les aggraver. Des inégalités profondément enracinées en termes de statut et de droits se traduisent souvent par des contraintes pour les femmes quant à l’accès aux ressources productives comme la terre, le crédit ou la propriété, ainsi qu’aux atouts stratégiques comme l’éducation et la participation active à la prise de décision. Les normes culturelles et sociales peuvent accentuer ces contraintes en limitant la liberté de mouvement et de parole des femmes.
De ce fait, les femmes sont souvent disproportionnellement affectées par le changement climatique par rapport aux hommes, notamment dans les communautés pauvres, lorsqu?il est question des choix qu’elles peuvent faire pour s’adapter au changement et de leur niveau de contribution à la prise de décision requise pour s’adapter à l’échelle du ménage, communautaire, nationale et internationale. Des études de cas menées dans des communautés rurales du sud de l’Afrique ont montré que se sont les hommes qui émigrent lorsque les temps sont durs et les femmes qui se retrouvent à travailler une terre de moins en moins fertile, tout en étant responsables de leur foyer et du bien-être de la famille (Petrie 2008). Les inégalités de genre en termes de propriété foncière constituent souvent un facteur essentiel à la détermination des types de stratégies d’adaptation que les femmes peuvent choisir. Par exemple, une femme qui vit dans une zone rurale peut avoir été autorisée à cultiver une terre délaissée et à utiliser ou vendre les denrées ainsi produites bien qu’elle ne dispose pas du droit de propriété légal. Lorsque la terre se fait rare en raison de sécheresses ou d’inondations causées par le changement climatique, elle peut perdre ces droits officieux, puisque le droit coutumier ou écrit ne lui permet pas de posséder de terres. La perte de la terre entraîne non seulement une perte de revenus et l’insécurité alimentaire, mais également la perte de l’autonomie et un sentiment d’asservissement.
Ces inégalités de pouvoir sont encore intensifiées par d’autres formes de hiérarchies comme le degré de pauvreté, la race, la caste, la classe, l’âge ou le handicap. Une femme d’une caste inférieure, une femme âgée sans famille pour la soutenir ou une femme à mobilité réduite sont toutes susceptibles d’être encore plus durement touchées par les impacts immédiats et à long terme du changement climatique. Il est important de se rendre compte que ces hiérarchies sociales peuvent rendre les hommes tout aussi vulnérables que les femmes dans certains cas, bien que dans des situations d’extrême pauvreté, ce sont presque toujours les femmes qui sont les plus défavorisées.
2.2.3. Les femmes et les hommes ont un impact différent sur l’environnement
Les rôles, responsabilités et attentes de genre ont un effet considérable sur les modes de consommation, les empreintes carbone, la consommation énergétique et le transport. Par exemple, il est prouvé que les femmes sont souvent responsables de la collecte et de la gestion des sources énergétiques dans les pays en développement, alors qu’elles représentent une part importante des 1,4 milliard de personnes (estimation) à travers le monde à ne pas avoir accès aux infrastructures énergétiques modernes.(3) Des travaux de recherche ont également montré que les modes de consommation et modes de vie différents des hommes et des femmes font que les femmes produisent une empreinte carbone plus faible que celle des hommes, qu’ils soient riches ou pauvres (OCDE 2008). Ainsi, une meilleure compréhension de comment l’identité de genre affecte les rôles, activités et contributions subséquentes aux émissions de gaz carbonique et à la consommation de ressources est essentielle pour que les politiques d’atténuation parviennent aux effets escomptés et ciblent les groupes adéquats. L’encadré ci-dessous décrit les résultats des travaux de recherche menés en Europe sur les différentes émissions de gaz carbonique des femmes et des hommes.
Pertinence du genre en termes de modes de consommation et d’empreintes écologiques Une étude suédoise qui analyse les différences entre les hommes et les femmes en termes de modes de consommation dans des pays du Nord et du Sud conclut que les femmes sont à l’origine d’émissions de gaz carbonique moins importantes que les hommes du fait de besoins différents et des inégalités d’accès aux ressources. Elle révèle que l’empreinte écologique des hommes tend à dépasser celle des femmes du fait de leur plus importante consommation d’énergie, notamment au travers de modes de transport à plus fortes émissions (plus de voyages en avion, plus de déplacements en voiture et une moindre utilisation des transports en commun) (Johnsson-Latham 2007). Une autre étude sur la consommation énergétique menée dans quatre pays européens a montré qu’il existe des différences majeures entre les hommes et les femmes en termes de consommation globale d’énergie, notamment en Grèce et en Suède : les plus grands écarts concernent les modes de déplacement et de consommation (Raety et Carlsson-Kanyama 2010). |
2.3. En quoi est-il crucial que les politiques et processus relatifs au changement climatique soient sensibles au genre?
2.3.1. De nombreuses réponses et institutions ayant trait au changement climatique sont aveugles au genre
Depuis longtemps, l’égalité de genre est reconnue en tant que composante-clé du développement durable et de l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). Pourtant, à ce jour, les politiques relatives au changement climatique sont restées manifestement aveugles au genre. Cela signifie qu’elles n’ont que rarement pris en compte les différences entre les hommes et les femmes en termes de besoins et de capacités et, en conséquence, sont souvent implicitement biaisées en faveur des hommes, privilégiant les besoins, intérêts et priorités des hommes dans la répartition des opportunités et des ressources. Ce phénomène est évident au vu de l’actuel manque d’attention, ou même de mention, du genre dans de nombreux documents-clés ou de mécanismes en rapport avec le changement climatique, telles la CCNUCC originale et la conception des systèmes de marchés et de négoce de carbone (voir chapitre 4).
Souvent, cela s?explique par le fait que les institutions dont ils émanent sont intrinsèquement patriarcales : non seulement les postes de pouvoir décisionnel sont souvent dominés par des hommes, mais les institutions elles-mêmes ont été façonnées par des hommes.(4) Il en résulte que la démarche actuelle face au changement climatique n’a pas intégré de dimensions de genre de manière systématique et avisée. Par exemple, au Nigeria, la loi sur la Commission du changement climatique, qui est actuellement en attente de l’autorisation présidentielle pour être adoptée, ne fait aucune référence aux inégalités de genre. Non seulement cette loi ne parvient pas à reconnaître les dimensions de genre du changement climatique, elle ne précise pas non plus l’expertise de genre comme critère d’affiliation à la Commission et passe ainsi à côté d’une opportunité de transformation sociale et risque de renforcer davantage la perception dominante du changement climatique en tant que problème scientifique et technique. (5)
Cet aveuglement de genre est un problème en ce sens qu’il rend les politiques inefficaces, puisqu’elles ne parviennent pas à répondre aux besoins de la moitié de la population et passent à côté de l?opportunité de transformation, en ne s’attaquant pas aux normes rigides de genre qui empêchent les ménages, les communautés ou les pays de renforcer leur résilience globale face au changement climatique. Comme ces politiques, qui visent à résoudre le problème, ne prennent pas en compte les inégalités de genre sous-jacentes, elles présentent un réel danger d’aggravation de ces inégalités. Cette situation s’est déjà produite dans le cas d’activités de vulgarisation, comme la formation agricole ou les programmes de transfert de technologie, qui, par mégarde, excluent les femmes en raison d’une faible compréhension de leurs besoins ou de suppositions erronées quant à leurs rôles alloués.
2.3.2. Les stéréotypes de genre sont reproduits dans les réponses au changement climatique
Si les femmes et les hommes sont socialisés de sorte à remplir des rôles et responsabilités différents, ils restent également des individus complexes qui ne se conforment pas toujours à ces idées normées sur la façon dont ils devraient se comporter. La vie des hommes et des femmes ne constitue pas une expérience de vie unidimensionnelle : leurs réponses, expériences et actions sont plutôt variées et même contradictoires par moment. Ainsi, les hommes comme les femmes peuvent se montrer vulnérables dans certaines dimensions de leur vie et capacités d’agir, dans leur moyen de changer leur situation et celle des autres.
La plupart des informations disponibles sur le genre et le changement climatique ne reconnaissent pas ces complexités et aboutissent souvent à de vains stéréotypes que perpétuent des idées unidimensionnelles sur les femmes comme étant pauvres, vulnérables, vertueuses, naturellement enclines à prendre soin de l’environnement, alors que les hommes sont dépeints comme violents, agressifs, pollueurs et irresponsables (Jolly 2004).
La représentation omniprésente d’une femme africaine portant un bébé sur son dos tout ramassant du bois ou collectant de l’eau, qui apparaît si souvent dans les publications relatives au genre et au changement climatique, fournit un exemple de la manière dont ces idées généralisées s’ancrent dans les débats sur ces problèmes (Okali 2011). Ces stéréotypes éclipsent la capacité d’intervention des femmes dans leur quotidien et d’adaptation aux effets du changement climatique. Ils créent également des barrières autour de l’éventuelle participation des hommes aux solutions pour lutter contre les inégalités de genre.
Basées sur des stéréotypes, certaines interventions bien pour lutter contre le changement climatique intentionnées peuvent en fait accentuer la pauvreté des femmes. Par exemple, des politiques « sensibles au genre » mal avisées qui tentent d’intégrer les femmes ont souvent pour conséquence involontaire de leur créer une charge de travail supplémentaire alors que leur temps est déjà précieux : ces politiques reposent sur leur présumée proximité avec la nature et volonté de s’engager dans des tâches non rémunérées pour promouvoir et mener des pratiques respectueuses de l’environnement. Alors que de tels programmes de développement peuvent répondre aux besoins pratiques des femmes, ils oublient souvent d’apporter les conditions pour un réel changement stratégique ou une autonomisation en changeant l’accès aux droits fonciers, au crédit ou au pouvoir décisionnel, par exemple.
2.3.3. Les droits humains et des femmes ne font pas partie des débats portant sur le changement climatique
Des cadres internationaux de droits humains universels reconnaissent déjà les droits des femmes et en font la promotion. Pourtant, à ce jour, ceux-ci n’ont pas été intégrés de manière adéquate dans les politiques sur le climat, et peu de débats ont porté sur les cadres légaux qui forment la toile de fond du changement climatique (voir point 2.4.5 et chapitre 4). La nécessité d’une réponse davantage sensible au genre du changement climatique est trop souvent structurée en termes de rôle potentiel des femmes visant à permettre des interventions plus efficaces et à protéger les ressources naturelles comme les forêts, alors que l’enjeu plus « politique » des droits des femmes est écarté ou ignoré. On n’a pas non plus fait grand cas de la façon dont le changement climatique peut violer des droits humains fondamentaux de millions de personnes les plus pauvres du monde, qu’il s’agisse de leur droit à la vie, de leur droit à la sécurité (au travers des dangers de mort, de maladies et de blessures dus au climat), de leur droit à l’alimentation (au travers de l’insécurité alimentaire grandissante), de leur droit à la subsistance (au travers des menaces qui pèsent sur l’eau, les ressources naturelles, la propriété et l’habitation du fait du climat), de leur droit à la santé (au travers d’une malnutrition accrue et de maladies infectieuses et liées à l’eau) (Raworth 2008) ou de leur droit à être libérées des discriminations de genre.
2.3.4. La représentation des femmes lors des négociations relatives au changement climatique reste très faible
La participation des femmes aux négociations relatives au changement climatique reste très faible, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale. Lors de la CdP 16 de la CCNUCC en 2010, les femmes représentaient seulement 30 % d?ensemble des membres de délégations et entre 12 et 15 % de tous les chefs de délégations.(6) Bien que le nombre de représentantes soit en légère hausse, le leadership des femmes en matière de changement climatique n’a fait que stagner, et peu de progrès ont été faits en matière de proportion de femmes à la tête des délégations durant ces 14 dernières années.
2.4. Identifier des moyens sensibles au genre pour aller de l’avant
Comme mentionné précédemment, il existe un risque que les politiques et les processus touchant au changement climatique ne soient ni efficaces ni équitables tant qu’ils ne seront pas davantage sensibles au genre. Cela signifie qu’il faut reconnaître que les acteurs du développement sont autant des femmes que des hommes, qu’ils font face à des contraintes différentes et souvent inégales, raison pour laquelle ils peuvent avoir des besoins et des priorités différents, voire même conflictuels (Kabeer et Subrahmanian 1996). Raisonner ainsi, c’est s’assurer que les contributions des femmes comme des hommes sont exploitées afin de mettre sur pied des programmes d’adaptation et d’atténuation réussis. Au travers d’exemples d’interventions et de réponses innovantes face au changement climatique à la base et au niveau politique, ce rapport identifie des stratégies sensibles au genre édifiantes en matière de politique et de pratique de lutte contre le changement climatique. Cinq messages-clés sur lesquels ces stratégies reposent sont présentés ci-après.
2.4.1. Les réponses technologiques et fondées sur le marché, à elles seules, ne peuvent pas traiter les implications sociales de genre du changement climatique
La nature complexe et vaste du changement climatique fait qu’il ne peut être abordé exclusivement au travers de réponses technologiques et fondées sur le marché. Au contraire, il nécessite une approche bien plus holistique et multidisciplinaire. Il est essentiel de reconnaître que la science n’est pas le seul cadre d’examen du changement climatique et qu’il existe une multitude d’autres formulations possibles du problème, que ce soit en tant que question d’injustice mondiale, de surconsommation, d’échecs du marché, de risques technologiques ou même de phénomène naturel (Hulme 2009). Un perspective sensible au genre, qui reconnaît les influences des relations sociales, des cultures, des croyances, des valeurs et des comportements sur nos compréhension, expérience et perceptions des risques liés au changement climatique, pourrait contribuer à une approche du problème plus équilibrée et nuancée, mieux à même d?intégrer ces compréhensions multiples.
En outre, pour comprendre l’environnement global plus large dans lequel le changement climatique prend place, il faut le considérer dans le contexte d’autres crises internationales qui s’enchevêtrent et auxquelles la communauté mondiale fait face : elles comprennent la crise économique mondiale, le terrorisme international, les pénuries alimentaires chroniques et la propagation du VIH/SIDA. Toutes ces crises indiquent la nécessité d’une approche plus holistique qui tienne compte du contexte politique et économique mondial plus large et des dynamiques de pouvoir sur lesquelles les problèmes reposent.
2.4.2. Les questions de genre doivent impérativement transcender les réponses d’adaptation
Alors que l’attention portée aux questions de genre et du changement climatique a progressivement augmenté, le point de focalisation tend à rester figé sur la vulnérabilité des femmes et donc dans le domaine de l’adaptation, généralement à une échelle très locale. Même si ce domaine est manifestement important, il est essentiel que l’analyse de genre ne se limite pas à l’adaptation et aux problèmes domestiques traditionnellement associés aux femmes, comme la cuisine ou d’autres corvées ménagères, comme cela a été la tendance jusqu’à présent. Au lieu de cela, une perspective de genre doit faire partie intégrante de tous les domaines de la réflexion et des politiques relatives au changement climatique. Cela englobe l’interrogation sur la pertinence des questions de genre en matière de stratégies d’atténuation, sur les implications des inégalités de genre et sur les déséquilibres de pouvoir dans le cadre des réponses actuelles fondées sur le marché, qui sont proposées pour faire face au changement climatique. Il est également essentiel de s’assurer que les approches d’atténuation et d’adaptation soient considérées simultanément plutôt que traitées comme des préoccupations indépendantes.
2.4.3. Le savoir et l’expérience des femmes sont essentiels à l’élaboration de solutions face au changement climatique
Alors qu’il existe des signes clairs montrant que les femmes sont plus vulnérables que les hommes face au changement climatique, les femmes sont plus que de simples victimes : elles sont également les intermédiaires-clés de l’adaptation et de l’atténuation face au changement climatique, qui possèdent un savoir précieux, acquis empiriquement (Mitchell, Tanner et al. 2007). Les hommes et les femmes apportent des réponses et contributions différentes, mais tout aussi précieuses. C’est pourquoi ils doivent non seulement être représentés à égalité dans les politiques et la planification de programmes aux niveaux domestique, local et national, mais également participer aux processus décisionnels de haut niveau à l’échelle internationale.
Il existe des exemples positifs de progrès vers cet objectif. Depuis 2009, une organisation de femmes pour le développement et l’environnement basée aux États-Unis, Women’s Environment and Development Organization (WEDO), a mené un projet, le Women Delegates? Fund (WDF), qui soutient les représentantes des pays en développement du Sud afin qu’elles rejoignent leur équipe de négociation nationale, améliorant ainsi l’étendue et la visibilité du leadership des femmes à ce niveau de prise de décision (Burns 2011).
Toutefois, la participation significative des femmes à la prise de décision liée au changement climatique nécessite plus que la simple présence en plus grand nombre de femmes au sein des institutions et des processus traitant du changement climatique. Une attention particulière doit impérativement être prêtée aux inégalités sociales et culturelles profondément enracinées, qui peuvent agir comme des freins à la véritable inclusion des femmes et les empêcher de participer de manière égale à ces processus. Ces freins comprennent : la dépendance économique, le manque de ressources financières adéquates, l’illettrisme, l’accès limité à l’éducation, le manque d’informations, le manque d’opportunités de travail identiques à celles des hommes, les comportements culturels et sociaux discriminatoires, les stéréotypes négatifs perpétués dans la famille et la vie publique, le poids des responsabilités domestiques ainsi que l’intimidation, le harcèlement et la violence (voir Brody 2009). Toutes ces questions doivent être abordées si l’on souhaite surmonter les obstacles à l’inclusion des femmes.
2.4.4. Les réponses apportées au changement climatique doivent faire la promotion de la justice sociale et de genre
La justice sociale fait référence à la création de sociétés et d’institutions basées sur l’égalité et les droits humains, et qui reconnaissent et respectent la diversité. Si la justice sociale constitue le résultat souhaité d’une démarche transformatrice face au changement climatique, elle doit également accompagner les efforts de développement de processus équitables. L’idée de l‟introduction de la justice sociale au coeur de solutions équitables au changement climatique a été incorporée dans le terme de « justice climatique», qui, selon la fondation Mary Robinson Foundation «fait le lien entre les droits humains et le développement pour parvenir à une approche centrée sur l’humain, protégeant les droits des plus vulnérables et partageant équitablement et justement les fardeaux et avantages du changement climatique et de ses résolutions » (site Internet de la fondation Mary Robinson Foundation 2011).
De nombreux militants luttant contre le changement climatique et en faveur de la protection de l’environnement ont mené campagne sous la bannière de la justice climatique. Parmi ces groupes militants, on trouve Via Campesina, un mouvement international, qui rassemble des millions de paysans, d’agriculteurs de petites et moyennes exploitations, de sans terres, d’agricultrices, d’indigènes, de migrants et de travailleurs agricoles du monde entier, qui a organisé son propre forum en marge de la CdP 16.(7) Néanmoins, si la justice climatique est un concept utile, on ne peut supposer qu’il comprend les besoins et la parole des hommes comme des femmes. Pour être efficaces et représentatifs, les arguments de justice climatique doivent se baser sur une compréhension de la justice de genre.
La « justice de genre » fait référence à un traitement équitable des hommes et des femmes, aux droits des femmes, à l’attribution de droits de citoyenneté pleins et entiers aux femmes et à la reconnaissance du fait que l’égalité entre les hommes et les femmes nécessite un processus de transformation sociale. Elle est particulièrement utile à la compréhension du changement climatique, car elle nous amène à considérer les inégalités inhérentes présentes dans le système actuel, et suggère une transformation totale plutôt que « l’ajout du genre » aux structures existantes dédiées au changement climatique. Elle est utile en ce sens qu’elle met en lumière l’importance des droits, prérogatives, responsabilités et obligations des principales institutions politiques, économiques et sociales qui sont pertinentes en matière de changement climatique.
2.4.5. Les droits humains et des femmes doivent permettre des réponses et une appréciation avisées du changement climatique
« La législation sur les droits humains est pertinente, car le changement climatique entraîne des violations des droits humains. Mais une perspective de droits humains peut également être utile dans l’approche et la gestion du changement climatique », Mary Robinson (Conseil international sur les politiques des droits humains 2008).
Les droits humains sont liés aux concepts tant de justice climatique et que de genre. Ils peuvent être définis comme suit:
« … Les libertés dont peut se prévaloir tout individu, y compris le droit à la vie et à la liberté, la liberté de pensée et d’expression ou l’égalité devant la loi, qui sont proclamées en vertu de la loi internationale pour protéger tout individu sans distinction de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de propriété, de naissance ou de toute autre statut ».
(Déclaration universelle des droits de l’Homme) (8)
Les droits humains sont pertinents en matière de changement climatique, car le changement climatique risque de violer des droits humains fondamentaux. Une approche basée sur les droits souligne le rôle et les responsabilités de l’Etat, qui doit assurer les droits basiques, comme l’accès des femmes à de l’eau propre et à des sanitaires, qui peuvent être menacés dans les contextes de changement climatique et doit développer la résilience face au changement climatique. Cette approche offre une alternative à celle basée sur les besoins, qui cible les personnes les plus pauvres comme des bénéficiaires de bonne volonté, en se focalisant plutôt sur l’autonomisation des femmes et des hommes pour qu’ils revendiquent leurs droits aux ressources existantes et participent à la prise de décision au titre d’obligation légale. Cela apporte une dimension éthique et morale qui a souvent fait défaut dans les politiques sur le climat (Nyamu-Musembi et Cornwall 2004).
Malgré l’absence d’une quelconque référence claire aux droits humains dans les accords mondiaux existants sur le climat, les cadres internationaux existants de droits humains et des femmes, notamment la CEDEF, constituent des outils puissants par le biais desquels l’importance de l’égalité de genre et des droits des femmes liés au changement climatique peut et doit être promue aux niveaux local, national et international (voir encadré ci-dessous). La mise en application d’une approche basée sur les droits humains face au changement climatique pourrait à la fois améliorer la durabilité et l’efficacité des politiques relatives au changement climatique et améliorer les réponses communautaires et nationales face au changement climatique en facilitant des modalités plus grandes de transparence, participation, information et responsabilité à tous les niveaux (McKiernan et Loftus-Farren 2011).
En quoi les cadres internationaux de droits humains sont-ils pertinents en matière de changement climatique? La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 représente la première expression mondiale des droits dont tout être humain peut se prévaloir intrinsèquement et comprend le droit à la vie.Le Pacte international relatif aux droits humains et politiques (PIDCP) protège les droits à la vie, à la liberté, à la propriété, à la liberté d’expression et de réunion, à la participation politique, à un procès juste, à la vie privée et de foyer et à l’interdiction de la torture. Ces droits sont fondamentaux pour l’autonomisation des femmes, afin qu’elles participent à égalité dans les réponses apportées au changement climatique, et sont généralement garantis au travers de mécanismes judiciaires, y compris au niveau international.Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) comprend les droits au travail, à l’éducation, à la sécurité sociale, de « jouir du meilleur état de santé physique et mentale [que l‟on] soit capable d’atteindre » et à une « nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante [des] conditions d’existence ». Ses droits sont en rapport direct avec les impacts du changement climatique, mais ne sont que rarement protégés par des mécanismes internationaux et ont tendance à dépendre de mécanismes d’assistance sociale locaux (Conseil international sur les politiques des droits humains 2008).La Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF), adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1979, définit l’égalité de genre et présente des principes pour y parvenir. Elle pose une déclaration internationale des droits des femmes ainsi qu’un calendrier d’action visant à garantir la mise en pratique de ces droits. Cette convention présente des implications directes dans le contexte du changement climatique, puisqu’elle oblige les Etats à éliminer toute discrimination contre les femmes dans les zones rurales afin de s’assurer qu’elles participent au développement rural et en bénéficient et qu’elles s’impliquent à tous les niveaux de planification du développement (UNFPA et WEDO 2009). |
Résumé
Ce chapitre a introduit une approche « transformatrice » de la question genre et changement climatique. Il appelle à une bien plus forte conscience sociale et de genre dans la façon dont le changement climatique est appréhendé et traité, en plaidant pour une compréhension multidimensionnelle des problèmes de genre dont le point de départ réside dans les relations genrées de pouvoir. Cela signifie qu’il faut se pencher sur la manière dont les différents positionnements sociaux et les inégalités de genre façonnent la manière dont les femmes et les hommes subissent le changement climatique et peuvent y faire face. Ainsi, il faut, d’une part, aborder ces inégalités dans le cadre de réponses efficaces et sensibles au genre et, d’autre part, les remettre en cause au travers d’interventions appropriées face au changement climatique fondées sur des principes de justice et de droits et au moyen de mesures sociales plus étendues.
Le chapitre suivant porte un regard « centré sur les populations » du changement climatique afin de souligner ses impacts sur les femmes et les hommes ainsi que sur la manière dont le changement climatique affecte les relations entre les hommes et les femmes dans leurs rôles respectifs.
(1)http://unfccc.int/files/meetings/cop_16/application/pdf/cop16_lca.pdf
(2) Pour de plus amples informations, voir Esplen (2009).
(3) Les chiffres de 2010 sont proposés par l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans son rapport World Energy Outlook [Perspectives énergétiques mondiales] (http://www.iea.org/weo/docs/weo2010/weo2010_es_french.pdf).
(4) Voir Brody (2009) pour une dissertation plus approfondie.
(5) Entretien personnel avec Titi Ngozi Akosa, Centre for 21st Century Issues, Nigeria.
(6) Ces informations sont tirées de www.gendercc.net.
(7) Cf. http://www.viacampesina.org/ pour de plus amples informations.
(8) http://www.un.org/fr/documents/udhr/
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