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Auteur(s) : Pamela CaroÉditeur(s) : BRIDGE (Dossier Genre et Mouvements Sociaux)
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La Coordinadora Latinoamericana de Organizaciones del Campo (CLOC –
Coordination latino-américaine des organisations paysannes) est la branche latino-américaine du mouvement mondial de la Via Campesina, qui met en relation les luttes sociales et économiques d’organisations communautaires
présentes sur quatre continents. La CLOC a été créée en 1994, englobant 84 organisations dans 18 pays. Ces organisations luttent pour l’accès à la terre, aux territoires, à l’eau et aux semences.
Un peu plus de dix pour cent d’entre elles sont des organisations de femmes vivant en milieu rural, et la très grande majorité est composée
d’organisations mixtes.
Cette étude de cas porte sur les stratégies mises en oeuvre par le mouvement de la CLOC pour intégrer l’égalité de genre à la fois dans ses activités externes et dans sa dynamique interne. Elle traite de certaines
réussites du mouvement dans ce domaine ainsi que des défis qui restent à relever.
Cette étude se fonde sur des entrevues avec dix femmes leaders d’organisations membres de la CLOC dans sept pays (l’Argentine, le Brésil, le Chili, l’Équateur, le Honduras, le Paraguay et le Pérou), ainsi qu’avec des hommes leaders au Chili.
La CLOC et l’égalité de genre
En 1997, la CLOC a tenu sa première Assemblée des femmes. Il s’agissait d’une initiative des femmes leaders du mouvement qui visait à mettre en avant les problèmes et revendications spécifiques des femmes en milieu
rural. Lors de cette assemblée a été signé un accord sur la parité de genre qui stipulait que cinquante pour cent des membres des espaces de prise de décision devaient être des femmes.
Lors de la deuxième assemblée en 2001, le Réseau continental des femmes a été créé comme partie intégrante de la structure de la CLOC. Ce réseau rassemble des femmes de toutes les organisations membres. Il vise à défendre les droits des femmes en milieu rural et à encourager l’intégration d’une perspective de genre dans tous les documents, propositions et actions.
Aujourd’hui, les femmes constituent une force cruciale au sein du mouvement de la CLOC. Elles ont réussi à faire sentir leur présence, et la majorité des organisations membres de la CLOC comptent désormais des
femmes parmi leurs dirigeants. Ces femmes leaders sont perçues par leurs pairs comme des personnes travailleuses, créatives, audacieuses et débordantes d’idées et de propositions pour faire face aux crises.
Les stratégies de la réussite
Pour gagner en visibilité au sein de la CLOC, les femmes ont utilisé, entre autres, la stratégie suivante. Elles ont formé des groupes autonomes de femmes dans les organisations mixtes membres du mouvement. Ces groupes ont joué un rôle crucial dans la construction et le renforcement des opinions des femmes à qui elles ont permis de gagner des espaces dans le mouvement. Ils ont également permis d’établir des liens entre les femmes leaders et d’autres jeunes leaders ainsi que d’autres groupes ne faisant pas traditionnellement partie des structures de pouvoir du mouvement.
Une autre stratégie fructueuse a consisté à organiser des écoles de formation et à inviter des femmes, appartenant ou non à la CLOC, à explorer les liens existant entre égalité de genre et égalité de classe. Par ce processus, les femmes se reconnaissent mutuellement comme des détentrices de droits et renforcent leur propre pouvoir.
Elles font ensuite figure d’exemple d’autonomisation (empowerment) pour les autres femmes, et transmettent à ces dernières leurs connaissances sur la manière d’affronter la discrimination et de s’exprimer en public.
Au niveau local, les membres de la CLOC ont collaboré avec d’autres groupes pour la Journée internationale des femmes et pour la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Elles ont utilisé des supports de création comme le théâtre et le cinéma pour aborder des questions allant du harcèlement sexuel à la propriété foncière. L’accès à Internet a ouvert de nouvelles possibilités pour maintenir les contacts et s’informer et a permis à certaines femmes de participer, créer des réseaux et se renforcer.
Pendant ces quinze dernières années, ces stratégies et ces engagements ont permis de remporter des succès divers, tels que : la visibilité du Réseau des femmes ; l’établissement de la parité de genre dans les espaces de prise
de décision ; une participation des femmes manifestement en nette augmentation dans les organisations membres de la CLOC et dans les délégations présentes aux conférences de la CLOC ; une position ferme contre le harcèlement sexuel au sein du mouvement ; ainsi que le succès des campagnes « En partant des semences », « Souveraineté alimentaire »
et « Assez de violence », qui ont été lancées par des femmes membres et ont ensuite été reprises par toute l’organisation.
Les défis de demain
Au-delà de ces victoires considérables, les femmes sont toujours confrontées à des difficultés. Elles sont certes plus nombreuses à participer mais les modèles et les comportements organisationnels masculins persistent. Les femmes sont souvent considérées comme « complémentaires » ; leurs opinions sont jugées utiles mais pas fondamentales.
Une autre difficulté tient au fait que certains hommes ne se reconnaissent pas eux-mêmes comme ayant besoin de se former et considèrent qu’ils en savent plus que les femmes et que les jeunes. L’école de formation au genre
de la CLOC accueille beaucoup plus de femmes que d’hommes, ce qui empêche de mettre à profit les possibilités de débats sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
Dans les communautés rurales et indigènes d’Amérique latine, il peut s’avérer difficile d’évoquer le féminisme et l’égalité de genre. Certains voient le féminisme comme une idée importée qui menace la production agricole basée sur la famille. Les femmes leaders de la CLOC réfléchissent aux moyens de lutter contre les tensions qui existent entre les idées qui sous-tendent l’égalité de genre et celles qui fondent la complémentarité des rôles dans la conception ancestrale et indigène de la famille et de la Terre Mère.
Les actions de demain
La CLOC doit encore relever le défi de l’applicationconcrète de ses déclarations théoriques sur l’égalitéde genre. Le Réseau des femmes de la CLOC a décidé de prendre des mesures pour faire progresser l’égalité de genre. Celles-ci comprennent :
– Des actions de sensibilisation aux inégalités considérées comme naturelles dans les constructions culturelles de la famille, dans les organisations et dans les communautés. Les femmes leaders de la CLOC développent actuellement
le concept de « féminisme populaire rural » comme stratégie principale de sensibilisation à ces inégalités. Ce concept veut que les femmes puissent s’accepter en tant que telles, être fières d’être des femmes, aspirer à l’égalité, lutter contre les abus, saisir l’occasion de penser différemment,
reconnaître leur propre valeur et exiger le respect – tous ces éléments étant importants pour construire une société où les femmes et les hommes puissent tous s’épanouir.
– Construire des processus politiques communs au sein du mouvement pour transformer les cultures et les pratiques internes. Les femmes leaders de la CLOC travaillent d’arrache-pied pour dénoncer l’injustice et les comportements inacceptables, remettre en cause le harcèlement sexuel et contester la prise de parole antidémocratique dans les réunions.
-Impliquer les femmes, les hommes et les jeunes dans un vaste
débat sur les questions de genre. Les leaders de la CLOC ont constaté que les petits groupes, les ateliers et les évènements informels étaient souvent
des cadres plus propices que les grandes assemblées à la défense de l’égalité de genre. Il est important de susciter l’engagement des hommes et des jeunes dans ces initiatives pour qu’ils puissent comprendre que ce besoin
d’égalité doit être prioritaire et s’exprimer sur des sujets tels que le genre et les droits sexuels et reproductifs.
Les femmes de la CLOC sont persuadées que l’avenir est
riche de promesses. Elles ne pensent pas que leurs succès
puissent être remis en cause, car personne ne pourra enlever
aux femmes la conscience qu’elles ont acquise de leurs droits. Elles sont en train de faire de ce mouvement une entité capable d’intégrer les revendications pour l’égalité de genre dans le monde rural latino-américain, alors même que le genre ne figurait pas parmi ses objectifs
initiaux.
Ce changement a découlé du travail systématique et constant de femmes visionnaires, profondément convaincues, qui ont réalisé d’immenses progrès mais qui n’hésitent pas à reconnaître les défis qui restent à relever.
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